Ma France - Heureuse, solidaire et digne, de Fabien Roussel

La réalité a besoin d’être soulevée afin d’être déplacée

par JEAN-JACQUES POTAUX
Publié le 3 septembre 2021 à 10:52

C’est comme d’un outil d’éducation populaire que nous souhaitons parler du livre de Fabien Roussel Ma France - Heureuse, solidaire et digne, écrit avec la collaboration de Laurent Wattier. Compte rendu de plusieurs années de combats à l’Assemblée nationale, de centaines de rencontres dans tout le pays, le livre n’est pas un programme pour les prochaines élections à venir, présidentielle et législatives, même si les propositions sont nombreuses, prenant souvent appui sur celles des parlementaires communistes. C’est la France profonde, trop ignorée par la plupart des médias, que le secrétaire national du PCF, notre candidat, nous invite à regarder. La France de ces salariés de la fonderie de Bretagne à Caudan auxquels la direction de Renault a demandé dans un « accord de compétitivité » de travailler de 22 heures à six heures du matin avec deux poses de dix minutes et d’abandonner leurs dix jours de RTT supplémentaires, tout cela pour finir par vendre l’usine. Durant la même période, Renault distribuait 4,8 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires. La France de ces femmes de ménage de l’entreprise Onet rencontrées à l’hôpital de Valenciennes (dont la patronne fait partie des 500 plus grosses fortunes de France), qui travaillent de 6 heures à 10 heures, puis de 17 heures à 19 heures pour huit cents euros par mois et qui, dans une longue lutte victorieuse, ont transmis leur combattivité, leur humour, leur humanité à toutes celles et ceux (dont le député Fabien Roussel) qui sont allés les soutenir. Les analyses politiques sont nombreuses et fines. Parfois dans une dimension autocritique, avec l’exemple du rejet du référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005 qu’il aurait fallu apprécier comme un non reflétant avant tout la légitime aspiration à la souveraineté nationale. « Pour le PCF il fallait donc se distinguer du nationalisme dangereux et nauséabond du Front national. Pour y parvenir, nous aurions dû mieux analyser cela. Nous aurions ainsi pu capter cette colère populaire et redonner tout son sens révolutionnaire au concept de nation. » Ce fut une erreur dont les conséquences furent lourdes d’avoir considéré le non du 29 mai 2005 essentiellement comme un choix anti-libéral et d’avoir envisagé sous cet angle l’élection de 2007.

Regarder la réalité en face

Fabien Roussel n’hésite pas à aller là où cela fait mal, la où les pépins de la réalité sont tels que l’avenir semble bouché, le découragement conduisant certains à renoncer au combat de classe et à se ranger derrière un homme providentiel ou à s’abstenir. « Il faut regarder le néant en face pour savoir en triompher », écrit Aragon. Le député propose d’affronter non des personnes mais l’inhumanité du système capitaliste, système d’exploitation et d’oppression qui met les travailleurs en concurrence. Ainsi cette DRH de vingt-cinq ans, à Renault Douai, place sur un poste très difficile un travailleur de 60 ans, à peine sorti d’une grave dépression. Elle ne répond pas au syndicaliste qui lui demande si elle traiterait son grand-père de la sorte , et pour cause. Elle est elle-même en CDD. Nous sommes loin des solutions faciles qui viendraient par le haut, et contribueraient à jeter de nouvelles illusions. « Le politique ne peut pas tout » a dit un jour un Premier ministre socialiste. Mais le politique a des armes. Au service de qui va-t-il les mettre dans la lutte de classes ?

Réindustrialiser et relocaliser

La question de la production en France, de la réindustrialisation de notre pays tient une grande place dans le livre, « l’avenir s’écrit en pointillés, mais des perspectives existent (…). J’avance la piste de l’hydrogène sur laquelle Renault s’avance trop timidement. Si un ministre est capable d’opposer un veto à une fusion avec Chrysler, alors il doit être possible d’imposer la relocalisation de notre industrie ». De larges rassemblements sont possibles. Il est scandaleux d’avoir laissé partir les générateurs et turbines à gaz produits par Alstom dans les mains du concurrent américain General Electric, ce qui fut décidé en 2014 par un gouvernement dont le ministre de l’économie était Emmanuel Macron. « Jamais le général de Gaulle (…) n’aurait accepté les renoncements en cours. Aujourd’hui encore, des députés gaullistes comme Olivier Marleix partagent ces combats que nous pouvons mener ensemble. La réindustrialisation du pays est une nécessité. » Là se situe une part importante du combat pour la planète, contre le réchauffement climatique. Entre 1995 et 2019, les émissions de gaz à effet de serre issues de biens importés ont augmenté de 72 pour cent. « D’où l’importance de produire en France ce que nous consommons en France, que ce soit la nourriture ou encore les voitures, les frigos, les télévisions, tous les biens manufacturés. »

Reconstruire l’espoir

La guerre idéologique menée par la grande bourgeoisie et ses chiens de garde médiatiques produit des effets dévastateurs dans les consciences. Les arguments développés dans le livre permettent de combattre cette pédagogie de la résignation. Sachons voir les succès ou demi succès remportés, même s’ils sont fragiles. Cent fois sur le métier, il faut remettre notre ouvrage. Ce combat de Sisyphe ne doit pas nous décourager. Les générations précédentes de communistes qui se sont opposées au nazisme, ou aux guerres coloniales n’ont pas eu la tâche facile. D’ailleurs les choses faciles ne sont pas intéressantes. Le dépassement du capitalisme est à ce prix. Nous ne partons pas de rien. Les filles d’Onet ont remporté un combat. Celles qui vivent sont celles qui luttent. Les élus communistes de la communauté urbaine de Lille se battaient seuls il y a 25 ans pour la gratuité des transports. L’idée a fait son chemin au point de s’être réalisée à Dunkerque. « Le coût financier est important, mais le bénéfice pour le climat, contre la pollution et pour le pouvoir d’achat est tel que le bilan est largement positif. » Cela doit nous encourager à poursuivre le combat pour le maintien et le développement des lignes ferroviaires comme pour le train Perpignan-Paris qui permet d’éviter chaque jour 3 000 camions sur les routes. Les propositions de Fabien Roussel sont à l’opposé des cars Macron. L’usine Ascoval de Saint-Saulve dans le Valenciennois a été sauvée après de nombreuses péripéties grâce au combat des salariés. Elle produit de l’acier à partir de déchets ferreux par fusion électrique sans utiliser de charbon. « Il faut nourrir la même ambition pour la production de fonte plutôt que de la laisser partir en Pologne, en Hongrie, où elle sera fabriquée à partir d’électricité provenant de centrales à charbon. » Terminons par un exemple très actuel qui incite à se souvenir de l’avenir. Alors que l’Union européenne et la plupart des pays riches, dont la France, s’opposent à lever les brevets sur les vaccins pour permettre de produire les millions de doses dont l’humanité a besoin, Fabien Roussel rappelle le combat mené il y a plus de vingt ans autour de Nelson Mandela pour permettre à des millions de personnes d’accéder au traitement contre le sida. Le combat a duré trois ans et fut gagné après bien des résistances et procédures judiciaires grâce à la mobilisation massive et à l’implication de nombreuses personnalités. En lisant Ma France, on prend une bonne dose d’énergie. L’heure est à la reconstruction de l’espoir. On pense à l’aphorisme du poète René Char : « La réalité a besoin d’être soulevée afin d’être déplacée. » Tel est le défi qui nous est proposé aujourd’hui.

Ma France - Heureuse, solidaire et digne, Fabien Roussel, éd. Le Cherche-Midi, septembre 2021, 240 pages, 16,50 €.