Entretien avec Fabien Roussel

Il faut créer les conditions pour une large union à gauche aux élections régionales

Publié le 4 mars 2021 à 20:01 Mise à jour le 5 mars 2021

Un accord, vite !

Les tractations étaient longues mais elles étaient en bonne voie. Pour les élections régionales des Hauts-de-France, le Parti communiste, le Parti socialiste et La France insoumise voyaient déboucher un accord avec constitution d’une liste commune emmenée par Fabien Roussel, député communiste du Nord et secrétaire national du PCF. Il ne faisait pas de sa candidature comme tête de liste une « condition incontournable ». Jusqu’à ce mardi matin 2 mars, les trois formations semblaient partantes pour une liste d’union, leurs discussions étaient très avancées. Seuls les Verts demeuraient dans la marge. Mardi, en fin de journée, il était question que le conseil national du PS entérine ce scénario : Fabien Roussel tête de liste, soutien du PCF dans les régions tenues par le PS (cinq), soutien également lors du premier tour des élections départementales dans 90 % des cas. Et puis soudain, le coup de théâtre. On apprend mardi matin qu’un accord était finalement intervenu entre Hugo Bernalicis (LFI) et Karima Delli (EELV). La copie est donc à revoir. C’est en cours, chacun s’accordant à dire qu’il est tout prêt à discuter. Si Fabien Roussel fait le deuil de la tête de liste, il explique ci-contre la nécessité de trouver un accord.

Entretien exclusif avec Fabien Roussel

Dans quel état d’esprit êtes-vous après ce coup de théâtre, après l’accord signé, dans la nuit de lundi à mardi, entre La France insoumise et EELV ? Je garde toujours l’espoir que l’on parvienne à une liste de large union rassemblant l’ensemble des forces de gauche et écologistes, des citoyens, du monde du travail et porteuse de belles et grandes propositions pour notre région. Chacun d’entre nous a affiché cette volonté depuis le début. Personnellement, depuis le début avec les communistes j’ai dit que notre objectif était de pouvoir gagner la Région des Hauts-de-France et d’emporter de grandes victoires aux élections départementales. La condition de ces victoires, c’est que l’ensemble des forces parviennent à se réunir dans une liste aux élections régionales et à s’additionner aux élections départementales. Troisième chose, nous avons proposé Cathy Apourceau-Poly et moi-même comme têtes de liste possibles pour favoriser cette union et réussir à dépasser les antagonismes et les clivages qui existent entre nous. Jusqu’à ces derniers jours, nous avons mis toute notre énergie pour qu’un rassemblement ait lieu avec la France insoumise et les socialistes dans une liste conduite par moi-même. Ce n’était pas évident, mais il y avait un accord pour que les insoumis et les socialistes figurent sur la même liste si elle était conduite par moi.

Sauf que depuis mardi matin, les cartes sont rebattues. Pour des raisons que j’ignore encore, et qui peut-être s’éclairciront dans les jours qui viennent, les insoumis, au dernier moment, ont fait le choix de signer un accord avec les Verts. Voilà pourquoi certains disent que les cartes sont rebattues. Mais cette situation ne doit pas nous écarter du chemin du rassemblement. Nous savons que construire une liste de large union, c’est difficile. Nous n’avons pas tous la même histoire et nous ne portons pas tous les mêmes priorités. Mais nous savons que cette union dans notre région où l’extrême droite est si forte est nécessaire pour réussir à proposer une alternative. C’est pour ça que, aujourd’hui, avec l’ensemble des secrétaires fédéraux, nous restons mobilisés et déterminés pour parvenir à un accord avec l’ensemble des forces politiques en tenant compte de ce nouvel élément qui s’impose à nous.

Pour éviter le scénario de 2015, l’union de la gauche pour les élections départementales et régionales est une priorité pour les communistes.
© Morpheus communication

Il y a cinq ans, vous meniez une liste qui rassemblait des forces de gauche, mais un accord avec les Verts n’a pu être trouvé. Cette fois-ci, les choses ne semblent pas plus faciles. Le risque existe effectivement que nous ne trouvions pas d’accord et que nous nous retrouvions dans la même situation qu’en 2015. Mais quand même, il y a eu 2015 et nous avons tous un souvenir amer de cette expérience. Personne ne souhaite que cela se renouvelle, moi le premier. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai dit, dans toutes mes déclarations publiques, que nous ne faisions pas de la tête de liste une condition incontournable. Ce que nous voulons avant tout, c’est que nous soyons unis et que chaque force politique soit respectée dans cette liste. C’est toute la différence avec d’autres élections, notamment l’élection présidentielle. Pour les Régionales, nous devons présenter une liste de plus de cent noms, hommes et femmes, avec cinq têtes de listes différentes dans les cinq départements. Il est donc largement possible de nous retrouver tous ensemble et faire en sorte que chaque force politique, demain, puisse se retrouver dans l’exécutif régional si nous l’emportons.

Si vous parvenez à un accord, quelles seront les bases d’un programme commun ? Pour les élections régionales, face au bilan très libéral de Xavier Bertrand, nous communistes souhaitons d’abord mettre en avant l’intérêt d’avoir des services publics dans notre région qui répondent aux besoins de nos concitoyens. Et on voit combien ces services publics sont importants, notamment dans la santé et les transports. Sur ces deux sujets, nous voulons engager beaucoup plus de moyens financiers pour que notre région rattrape ses retards en matière de santé et de lutte contre la désertification médicale. Quant aux transports, une des premières décisions qu’il faudra prendre sera de revenir sur les objectifs de privatisation des TER. Deuxième chose, il faut rattraper le retard en matière de transition écologique. Là aussi il faut mettre les bouchées doubles que ce soit pour la protection de l’environnement, le développement des pistes cyclables et pour l’accès à des transports gratuits par catégorie d’âge parce qu’on ne pourra pas le faire pour tout le monde tout de suite. Il faudra y aller par étapes. Enfin, la question de la formation pour les jeunes pour que chacun ait accès à une formation et à un emploi sera pour nous communistes un chantier prioritaire. Dans notre région, comme pour l’ensemble du pays, la jeunesse doit être notre priorité.

Chacune des quatre formations est d’accord sur ces points ? Je pense que sur ces questions nous pouvons nous retrouver. Nous en avons déjà beaucoup discuté entre nous, avec nos points d’accord et nos points de désaccord, y compris sur le bilan de Xavier Bertrand. J’ajoute un point : l’industrie qui est pour nous une priorité. Je souhaite qu’il y ait dans notre région, comme je l’avais proposé en 2015, une banque publique régionale pour l’emploi et pour le climat pour soutenir les investissements de nos entreprises et de nos collectivités pour l’emploi et le climat. Une telle banque ferait des prêts à taux zéro. Mais n’oublions pas les élections départementales. Face à la montée de la pauvreté et aux difficultés des jeunes, les départements doivent être en première ligne pour mener une politique sociale en faveur de nos populations qui souffrent beaucoup. Au contraire, le Département du Nord fait la chasse aux pauvres plutôt que de lutter contre la pauvreté.

Si vous trouvez un accord pour les Régionales, combien de temps faudra-t-il pour construire un programme ? À partir du moment où nous sommes d’accord sur les grandes lignes et les idées que nous souhaitons porter, sur la tête de liste et sur la place que chacun d’entre nous occupera dans cette liste, cela sera très rapide.

Quel est le calendrier de ces prochains jours ? Je vais rencontrer Karima Delli avec une délégation du PCF, nous allons parler des conditions de cette union et de ce rassemblement. Ce que je souhaite c’est que l’on puisse aboutir à un accord le plus large possible où les quatre forces seraient rassemblées, sans exclusive, et que chacune de ces forces soit respectée. Cela peut se décider très rapidement dans les jours qui viennent. Ensuite, si nous parvenons à finaliser un accord sur les priorités à défendre dans cette élection, puis sur la liste, les militants communistes seront rapidement consultés sur cet accord. Ils auront à se prononcer et pourront même proposer d’autres alternatives. Nous convoquerons très rapidement une conférence régionale pour faire état des discussions, des propositions et des différents scénarios possibles et les militants communistes, comme toujours, auront au final le dernier mot. Ce sont eux qui décideront du choix que nous faisons.

Par-delà les Régionales, comment envisagez-vous l’élection présidentielle de 2022 ? Aujourd’hui, je suis préoccupé par l’état sanitaire et social de ma région, comme je suis préoccupé par l’état de mon pays. La crise est très forte, nous ne voyons pas l’horizon. Le président de la République par ses choix, contribue à l’obscurcir. Je mettrai toute mon énergie pour réussir à donner de l’espoir dans ma région, de la même manière je continue à mettre toute mon énergie pour montrer que d’autres choix sont possibles pour la France. Il faut se préparer à l’élection présidentielle et aux législatives. Les communistes sont appelés à ouvrir le débat avec la conférence nationale des 10 et 11 avril prochains et un vote le 9 mai. Je souhaite pouvoir m’assurer que ce débat aura bien lieu dans tout le pays, comme dans ma région. Je souhaite qu’il y ait un candidat communiste à l’élection présidentielle pour ouvrir le débat sur des choix nouveaux mettant au cœur l’être humain et la planète pour sortir des logiques financières. C’est donc là aussi un enjeu très important. Je souhaite m’y investir personnellement.

Vous serez candidat ? Oui. Les communistes pourront compter sur moi pour mener ce combat.

Qu’il s’agisse des élections locales ou de la présidentielle, n’est-il pas regrettable que la menace du Rassemblement national soit au cœur des débats ? Tout est fait aujourd’hui pour asphyxier et tuer le débat politique en assommant les Français avec l’idée d’un duel inéluctable entre Macron et Le Pen. Or, l’actuel président de la République ne sait même pas s’il sera en capacité de se présenter au regard de son bilan. Mais tous ceux qui mettent en avant ce duel sont en train de lui offrir un boulevard. C’est ça qu’il faut expliquer aux Français. Il ne faut pas les mépriser comme s’ils avaient déjà décidé. L’élection présidentielle est une élection très importante que les Français aiment bien et à laquelle ils aiment participer pour exprimer leurs choix, leurs espoirs, leurs colères en votant pour un homme ou une femme et des idées. On peut contester ce mode de scrutin. Nous, communistes, le faisons. Mais aujourd’hui, il est là. Personnellement je refuse d’envisager cette présidentielle comme si le second tour était déjà écrit. Au contraire, nous devons tout faire pour que ce duel n’existe pas. Avant le second tour, il faut faire le premier. Qui pouvait dire un an avant l’élection présidentielle de 2017 que le candidat de la droite serait Fillon et qu’il serait disqualifié ? Qui pouvait dire un avant que le candidat du PS serait Benoît Hamon, qu’il fusionnerait avec les Verts et qu’une candidature commune Verts-PS ferait 6 % ? Laissons les Français s’emparer de ce grand débat national avec tous les choix offerts.

Mais sur le dossier régional, qui pouvait dire avant le premier tour que le candidat socialiste Pierre de Saintignon se retirerait pour faire barrage à la candidate FN ? Une décision qui a du coup conduit à la disparition de l’opposition de gauche dans l’hémicycle. Bien sûr. L’objectif de cette élection régionale est de tordre le cou à ces duels que les libéraux veulent nous imposer, car pour eux le FN sert à cela, il sert de repoussoir, il sert à capter la colère et à la conduire dans une impasse. Il faut déconstruire ce discours et créer toutes les conditions pour que les forces de gauche et écologistes, grâce à une liste unie, arrivent au second tour et que cette liste se maintienne et gagne. C’est possible.

Propos recueillis par Philippe ALLIENNE