© Marc Dubois
Eddie Jacquemart

« Au lieu de radicaliser, il faut des solutions pour réconcilier les rapports entre propriétaires et locataires »

par Philippe Allienne
Publié le 23 décembre 2022 à 07:55 Mise à jour le 22 décembre 2022

Pour le président de la Confédération nationale du logement (CNL), les députés qui ont voté pour le projet de loi Kasbarian choisissent radicalement le droit de propriété contre le droit au logement.

  • Comment analysez-vous le vote des députés en faveur de la loi Kasbarian ?

Les députés de la majorité ont repris une ancienne proposition de loi de Marine Le Pen qu’elle avait présenté dans la précédente mandature sur un texte très dur. La proposition de Guillaume Kasbarian a été voté, outre les députés de cette majorité, par ceux de la droite et de l’extrême droite. Il y a une véritable coalition des droites sur ce texte. Sous prétexte de lutter contre les squatteurs, ce texte aboutit sur une stigmatisation entre propriétaires et locataires. Au lieu d’essayer de réconcilier les rapports entre les uns et les autres, on passe à une vitesse supérieure sur une sorte de criminalisation des locataires qui seraient en difficulté de paiement de leur loyer.

  • Il y avait déjà une loi « anti-squatteur ». Quelle est la différence de fond, outre l’aggravation des sanctions ?

Ce texte assimile le locataire qui a des retards de paiements de loyer à un squatteur. Ce locataire en difficulté se retrouve dans une situation juridique où il n’a plus de bail parce que ce dernier a été résilié par décision de justice. De ce fait, il tombe dans une catégorie d’ « occupant sans droits ni titres ». C’est hyper violent. Jusque-là, les juges prenaient le temps de regarder la situation de la personne concernée et de prendre des décisions adéquates. Ils analysaient le cas pour comprendre si le locataire avait des difficultés personnelles ou s’il était de mauvaise foi. Désormais, la résiliation du bail pourrait être faite sans passer par le juge. Et cela peut aller très, très vite. Cela veut dire que, très rapidement, le locataire en difficulté de paiement va se retrouver dans la position d’un criminel. Au départ, les porteurs de la loi voulaient même considérer que le locataire qui ne payait pas son loyer était un voleur. Le ministre de la Justice, Éric Dupont Moretti est intervenu pour leur demander de se calmer parce que le Conseil constitutionnel ne pourrait laisser passer cela ! Ils ont finalement retiré cette notion. En tout cas, à la CNL nous avons suivi cela de prés avec les amis de la Nupes que nous sommes allés rencontrer devant l’Assemblée nationale le 1er décembre. Ils nous ont expliqué que les débats étaient d’une violence et d’une dureté spectaculaires.

  • Or, ces députés légifèrent alors que le contexte est mauvais pour les locataires…

En fait, ce texte apparaît complètement anachronique avec la situation actuelle que vivent les locataires, avec au 1er janvier des augmentations de loyers de 3,6% dans le parc HLM, avec aussi des régularisations de charges liées aux problèmes de fluides et d’électricité, et je ne parle pas des rappels de provisions pour charges parce que le bouclier tarifaire ne fonctionne toujours pas bien sur le logement social. Du coup, alors que les locataires vont vivre une situation inédite avec d’énormes augmentations des quittances, l’Assemblée nationale vote une loi à contre-courant de ce qu’il faut faire.

  • Que faut-il faire, précisément ?

J’ai beaucoup apprécié l’intervention du député communiste Stéphane Peu pour qui, au lieu de faire çà, il faut essayer de trouver des solutions pour réconcilier les rapports locatifs entre propriétaires et locataires et notamment instaurer une véritable garantie universelle des loyers comme avait tenté de le faire Cécile Duflot lorsqu’elle était ministre de Logement (de mai 2012 à mars 2014) et Marie-Noëlle Lienemann quand elle était secrétaire d’État (mars 2001 à mai 2002). C’est ce que nous proposons à la CNL en forme de sécurité sociale du logement, c’est-à-dire une caisse de solidarité nationale qui permettrait d’aider les locataires en difficulté pour qu’ils puissent continuer à payer leur loyer auprès de leurs propriétaires. Tout le monde serait gagnant. C’est vers ce type de solution qu’il faut aller alors qu’avec cette loi Kasbarian on est dans la radicalisation du droit de propriété sur le droit du logement.

  • Pourquoi cette violence aujourd’hui ?

Je pense qu’il s’agit de caresser la droite dans le sens du poil parce que c’est quelque chose qui est rêvé depuis longtemps. Pourquoi maintenant ? Il y a des stratégies qu’on ne connaît pas comme certainement rassembler des majorités sur des dossiers comme celui-là, peut-être pour mieux faire passer la réforme sur les retraites après. Ce n’est pas improbable. En tout cas, cette loi est très stigmatisante et, encore une fois, très anachronique. Elle est débattue alors que, dans le même temps, on crée le conseil national de la rénovation du logement, dont le lancement a été tenu lundi 28 novembre. Ainsi, le gouvernement demande que se mette autour d’une table pour discuter calmement et on nous balance un tel texte dans le même moment ! C’est carrément illogique. En plus, c’est pour faire plaisir à une légende voulant que les squatteurs occupent les appartements des pauvres petits propriétaires privés. Il y a eu 170 cas de squatteurs depuis le début de l’année, ce n’est quand même pas la majorité de la population.

  • Dans son communiqué du 6 décembre, la CNL dénonce un projet de loi anti-pauvres. Vous pouvez développer ?

On est en train, à partir d’un problème très particulier, d’essayer de généraliser l’idée que les locataires sont des voleurs qui ne paient pas leur loyer. En fait, il faut rappeler que le taux d’impayés en France est à peine de 3%. Et il faut savoir que pendant le confinement, et malgré le confinement et la crise économique (beaucoup de ménages fragilisés ont perdu leur emploi et / ou ont vu leur pouvoir d’achat s’effondrer pendant la période covid et post-covid), les impayés n’ont pas explosé. Même avec un petit décalage éventuellement, ils ont continué à payer leur loyer. Ils paient d’abord leur loyer et après ils vont faire la queue au resto du cœur ou au Secours populaire pour manger. Cela veut dire qu’il y a une très grande responsabilité chez les locataires vis-à-vis du paiement du loyer. Cette culture de sérieux des locataires est bien réelle, notamment dans le monde ouvrier. Une autre légende veut que les petits propriétaires attendent le paiement des loyers pour vivre. Or, quand on voit que 3,5% des propriétaires détiennent 50% du parc, on comprend que les mono petits propriétaires sont très peu nombreux.

Voilà 40 ans que l’on vit une crise du logement et la seule réponse qu’on nous donne, c’est une victimisation des propriétaires. C’est vraiment être à côté de la réponse.

Fils d’HLM. Un livre pour réhabiliter le logement social

Eddie Jacquemart vient de publier, aux éditions Arcane 17, « Fils d’HLM ». Il l’a écrit après avoir constaté que les campagnes électorales pour la Présidentielle et les législatives ont laissé peu de place au logement. « Certains candidats ont même stigmatisé le HLM en prétendant, par exemple, qu’elles sont des "terres de kebab’’. La CNL a d’ailleurs porté plainte contre Éric Zemmour. » Pour le président national de la CNL, par ailleurs conseiller municipal de Lille, « il faut absolument réhabiliter les HLM parce qu’ils sont un véritable outil sociétal et social.  » Dans ce livre-témoignage, il développe aussi des pistes pour renouveler le militantisme locataire et régénérer la démocratie dans les cités.

« Fils de HLM » est en vente à la CNL et en librairie. https://confederationnationaledulogement.fr/