• Six mois après le début de son application, quels sont les impacts de la réforme des APL ?
La réforme part d’un prétendu bon sentiment en calculant le montant de l’aide sur les revenus les plus proches et non plus en remontant deux ans en arrière. Cela est donc censé éviter des distorsions entre la réalité des revenus et les droits des allocataires. C’est en apparence plutôt vertueux. Mais dans les faits, nous constatons une diminution de plus de 8 % du nombre d’allocataires depuis le 1er janvier. Cela représente plus de 18 000 foyers dans le Nord. Et ce n’est qu’un début. Ce que nous craignions, à la CNL, quand la réforme a été annoncée, est en train de se réaliser.
•Comment l’expliquez-vous alors que précisément cette réforme était censée être vertueuse ?
D’abord, les allocataires sont perdus. Nombreux sont ceux qui ne mesurent pas l’importance de la déclaration et, surtout, de sa mise à jour. Ils sont donc nombreux à perdre leurs allocations parce qu’ils ne pensent pas à signaler un changement de leur niveau de revenu. Et puis, les allocations sont souvent versées directement au bailleur. Or, les bailleurs privés ne réagissent pas forcément toujours quand il y a un changement. Résultat, quand ces bailleurs ne reçoivent plus les aides versées par la CAF, ils se retournent vers leurs locataires et leur demandent, en quelque sorte, le remboursement de ces aides. C’est-à-dire le différentiel de loyer !
• Cela met les locataires dans une situation très difficile ?
Sans diaboliser les bailleurs privés, je crois pouvoir affirmer que depuis le mois de janvier ils se servent de cet effet de la réforme comme moyen de pression sur les locataires dont ils souhaitent se séparer et, ce faisant, pour changer de locataires. Même si l’on sait qu’on ne peut pas expulser d’un claquement de doigts.
•Vous constatez vous-même les effets négatifs sur les locataires fragiles ?
Oui, d’autant que je suis élu au logement dans ma ville et que je suis aussi vice-président du CCAS de Faches-Thumesnil. Après six mois de réforme, le constat est clair : fragilisation de la gestion du budget de l’allocataire, ménages pas suffisamment attentifs et par conséquent difficultés pour eux en raison de retards de versement de l’APL. Il faut d’autre part savoir que, depuis la crise sanitaire, la CAF a pris beaucoup de retard dans la gestion de ses dossiers, aggravant de ce fait les retards de versement. C’est bien maintenant que se mesure l’impact de la réforme sur la gestion des ménages.
• Ne faut-il pas mieux informer les locataires ?
Il faut que la Caisse d’allocations familiales fasse une campagne de communication très claire. Cela dit, je ne suis pas certain que les conséquences n’aient pas été mesurées par le gouvernement dès le départ.
• Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
Cette « contemporanéisation » des APL (c’est le terme officiel) qui consiste à rapprocher au plus près le déclaratif du revenu réel engendre plus de travail pour les offices publics de HLM. Ils doivent eux aussi être plus attentifs aux évolutions de revenus de leurs locataires. Ils doivent le faire tous les mois, parfois tous les trimestres. Imaginez une personne qui est au RSA, qui trouve un travail intérimaire, puis un CDD, etc. Bref, imaginez ce locataire dont la source de revenu change à plusieurs reprises : si l’on n’y prend garde, cela devient très difficile à gérer. Il faut être très attentif à cette évolution. C’était notre souci commun aux offices et aux associations de locataires, quand la loi a été annoncée : comment on va gérer ? Or, il n’y a pas eu d’embauches pour traiter cette nouvelle façon de calculer les allocations. Ni dans les offices, ni à la CAF. En réalité, tout ce qui concerne cette réforme aurait dû se faire en concertation avec les organismes. Mais on sait avec quelle brutalité le gouvernement a mis cette réforme en œuvre, même si son application a été retardée.
•Vous évoquiez à l’instant une préoccupation commune entre les associations de locataires et les bailleurs publics. Qu’en est-il de l’avenir de notre modèle de logement social ?
On peut clairement se poser la question. L’exemple du rapprochement entre le bailleur public Partenord et le privé Vilogia ressemble étrangement à un mariage de la carpe et du lapin. Leurs méthodes de gestion et leurs gouvernances sont très différentes. Certes, il ne s’agit pas d’une fusion puisque ce regroupement se fait dans le cadre d’une Société anonyme de coordination. C’est un nouvel outil juridique créé par la loi Elan (loi qui fait obligation aux organismes de logement social de se regrouper) et qui permet une mutualisation des ressources. Mais je crois que c’est une première étape de distanciation. On commence par une SAC et puis, plus tard, pourquoi ne pas faire une fusion. On peut ainsi aller vers la création de mammouths qui regrouperaient plusieurs centaines de milliers de locataires. On peut alors se poser la question de la distance raisonnable par rapport au locataire. Ce dernier devient un client. Et un très gros organisme ne pourra plus s’y intéresser correctement et humainement. Contrairement aux agences locales, proches des locataires, qui sont mieux à même de les écouter et de régler les problèmes, que ce soit des questions de retard de loyer, de délinquance, etc.