© Marc Dubois

Le mouvement social peut-il faire vaciller le gouvernement ?

par JACQUES KMIECIAK et Philippe Allienne
Publié le 4 novembre 2022 à 12:15 Mise à jour le 3 novembre 2022

Alors que se prépare la journée de revendication interprofessionnelle du 10 novembre, nous avons interrogé plusieurs syndicalistes sur l’efficacité de ces actions et sur leur sens profond pour l’avenir social et politique. Si certains, comme Cédric Théret, ne cachent pas les difficultés de se mobiliser dans le contexte économique actuel, d’autres, comme Mathias Watel insistent sur le développement d’une dynamique de « construction positive ».

Les journées d’actions à répétition, sont-elles de nature à faire reculer Emmanuel Macron ? Cédric Théret, trésorier de l’UL CGT du Bruaysis, en doute : «  On a beau être dans la rue, tant que tu ne touches pas à leur porte-monnaie, les capitalistes s’en fichent. Ces journées ne mènent à rien. L’important est de bloquer l’outil de travail. C’est à partir de ce moment-là qu’on est écoutés.  » Le souci, c’est qu’aujourd’hui, il est « difficile de mobiliser dans les entreprises. Je suis bien placé pour le savoir. En ce moment, je rends visite aux syndicats en vue des élections professionnelles ». Le coût d’un arrêt de travail revient tel un leitmotiv pour expliquer cette difficulté. Et Cédric Théret cite l’exemple des salariés de FieldTurf Tarkett d’Auchel « en lutte pour les salaires. Ils ont été contraints de reprendre le travail après cinq jours de grève, par peur du lendemain. Financièrement, ils ne pouvaient tenir  ». Un constat partagé par Jean-Daniel Pognici, secrétaire de l’UD Solidaires du Pas-de-Calais, pour qui « il faut avoir de sous pour faire grève. Les salariés n’en ont pas les moyens, c’est une catastrophe. L’année dernière, les journées de grève m’ont coûté 1 500 euros pour… rien ».

Vers un nouveau tournant ?

Le dirigeant syndical a été refroidi par les deux dernières journées d’actions « en-deçà de nos espérances. À la dernière manifestation à Arras, nous n’étions que 200 devant la préfecture. La plupart étaient des militants, ceux qu’on voient d’habitude dans les défilés ». Aussi Solidaires « n’a-t-il pas relayé l’appel de la CGT pour le 10 novembre prochain, mais nos syndicats sont bien sûr libres d’y participer ». Et Jean-Daniel Pognici d’espérer que « les futures mobilisations pour les retraites seront à la hauteur, mais la Fonction publique n’étant pas concernée, nous risquons de ne pas avoir les fonctionnaires derrière nous. Nous allons mettre le paquet, mais ça risque d’être compliqué  ». Alors comment sortir de cette impasse ? « Il faudra peut-être avoir recours à des actions d’éclat comme celles menées par ces écolos qui sont allés jeter des pots de peinture sur des œuvres d’art. Il faudra ainsi faire preuve de plus de radicalité. Il est nécessaire de penser autrement nos interventions pour avoir davantage de visibilité. C’est un débat que nous avons entre nous  ».

« une phase de construction positive d’un rapport de force »

Il n’empêche, depuis le 29 septembre, premier grand rendez-vous depuis la rentrée, le mouvement social est en train de prendre un tournant intéressant. On aurait tort de se fier à la faiblesse de la mobilisation du jeudi 27 octobre. Une semaine plus tôt, le 18 octobre, 5 000 personnes battaient le pavé lillois. Du jamais vu depuis les manifestations contre les loi El Khomri réformant le code du Travail. Secrétaire général de l’Union locale CGT, à Lille, Mathias Wattelle est convaincu que ce mouvement est dans « une phase de construction positive d’un rapport de force. » Plusieurs indices récents le démontrent. À commencer par les grèves des salariés de TotalEnergies et d’EDF (le centre de stockage Mardyck et la centrale nucléaire de Gravelines pour le Nord). Elles ont respectivement débouché sur des hausses salariales de 6 à 8% pour les premiers et 13% pour les seconds. Derrière ces victoires, Mathias Wattelle voit des « mouvements de grève historiques » qui ont forcé les directions à accéder aux revendications. Plus généralement, explique-t-il, nous sommes dans un moment où les entreprises ouvrent les Négociations annuelles obligatoires (NAO). « Et nous avons des remontées de luttes victorieuses. On voit bien que plus le rapport de force est élevé, plus les directions sont obligées d’accéder aux revendications.  » Évidemment, les choses apparaissent beaucoup plus compliquées pour les entreprises de moins de 50 salariés, dépourvues de représentations syndicales. C’est bien pour cela que la CGT revendique une augmentation générale des salaires (et non des négociations par branche qui plaisent tant au gouvernement), un smic à 2000 euros brut, la semaine de 32 heures. « Il faut que les salariés des PME, qui produisent de la richesse, puissent obtenir les mêmes avancées que leurs collègues des grandes entreprises. C’est le sens de nos appels à manifester des 29 septembre, 18 octobre et 10 novembre.  » Est-ce la bonne voie pour faire reculer le gouvernement et sa politique anti-sociale ? « En tout cas, répond Mathias Wattelle, nous sommes en train de construire un mouvement social important avec le monde associatif et les organisations politiques amies. » Entendez le PCF, la Nupes, etc. L’objectif est de parvenir à mettre en place un front commun qui recueille l’adhésion de la population.