Marc Dubois

De Ramsès III au 1er mai 2023, la grève est synonyme de liberté

par Dominique Sicot
Publié le 21 avril 2023 à 17:09

La grève est un droit chèrement acquis par le mouvement ouvrier. Mais elle est bien plus que ça ! Un acte émancipateur par excellence qui s’inscrit dans la longue histoire de l’humanité.

Ils ont de la chance, les managers de la République. Les gens ordinaires n’ont pas encore ressenti l’intérêt de faire la grève et d’en savourer les fruits. Pourtant il y aurait de quoi s’offrir de belles journées ; il y aurait de quoi s’offrir à soi-même une belle émotion, libératrice, gentiment subversive, brève et forte. Faire la grève, ce serait, disons-le comme ça, une grande, une belle petite joie, j’en suis sûr ; ne serait-ce que d’un petit point de vue personnel, au ras du quotidien... »

Rompre le discours médiatique

En ce premier mai 2018, Le Média offrait à son public une petite pépite : un texte, écrit par l’un de ses journalistes de l’époque, Léonard Vincent, et lu par Jean-Pierre Darroussin. Un peu plus de 4 minutes 30 de bonheur. Un éloge de la grève, cette fois avec les mots du poète. Rien de contradictoire avec ceux du mouvement ouvrier, célébrant ce droit chèrement acquis chez nous au 19e siècle dans le sang et la répression. Juste une autre musique que l’on n’a pas l’habitude d’entendre dans une société où les dominants et leurs médias peignent le gréviste en feignasse, preneur d’otages ou casseur. Et cette musique a fait mouche. « Ce clip a été très partagé sur YouTube, et j’étais flatté qu’il donne du courage à ceux qui se mobilisaient » explique Léonard Vincent. « Quelque temps plus tard, au moment du premier confinement, les éditions Don Quichotte-Seuil m’ont proposé de développer ce texte pour en faire un livre. J’ai voulu alors aller au-delà du simple éloge circonstanciel de la grève d’un point de vue personnel pour faire une sorte de grand poème en prose sur l’histoire de la grève, pour montrer que l’histoire de l’humanité a été traversée d’un acte que j’estime extrêmement civilisé qui est l’arrêt de travail pour montrer sa force. » Se déroule alors dans ce « livre-Molotov à l’usage des timides, des affligés et des gueulards », selon les termes de son auteur, une véritable « épopée des grands emmerdeurs », une grande histoire de « ce coup de génie qui est venu à nos anciens et qu’ils ont fini par écrire dans la loi ». Elle commence dans la Vallée des Rois, sous le règne du pharaon Ramsès III, au XIIIesiècle avant l’ère chrétienne. C’est en tout cas la première trace écrite que nous en ayons à travers le papyrus de la grève. Les ouvriers de la petite nécropole qui s’appelle aujourd’hui Deir el-Médineh « qui brûlaient leurs mains à monter pierre après pierre la tombe royale », après 18 jours sans salaire, décidèrent un beau jour vers 1166 avant JC de cesser le travail. Et c’est dans leur lignée que s’inscrivent tous les grévistes.

Une désobéissance ?

« Avec ce livre, explique Léonard Vincent, je voulais rappeler que la grève, ce n’est pas juste une petite désobéissance réglementée par des préfectures mais un geste qui a une signification profonde. Qu’en retirant leur force de travail, les grévistes montrent leur liberté, leur puissance. » Car pour ce livre, à partager, à lire ensemble à haute voix, à faire tourner, il s’agit aussi de redonner aux troupes du cœur à l’ouvrage, de réchauffer, voire de consoler, parce que faire grève c’est aussi perdre son salaire, s’exposer, se faire insulter parfois, prendre le risque de subir des violences physiques perpétuées par les forces au service de l’ordre.

Un acte émancipateur

« La grève est une grande aventure exaltante et tragique » écrit Léonard Vincent. « Tragique comme une pièce de Sophocle » nous confirme l’auteur. « On ne sait pas vers quoi on va quand on décide de lutter pour une victoire politique en mettant en jeu son corps, son salaire, sa fatigue. Ce n’est pas un petit calcul froid avec la certitude de la victoire. C’est l’affirmation de l’indispensable fraternité dans la lutte puisqu’un gréviste tout seul n’obtient jamais rien. C’est l’affirmation de la liberté, de la fraternité, des exigences de justice... de tout ce que, dans les démocraties parlementaires, l’on présente comme les fondements de nos sociétés. » Alors oui, la grève est un acte émancipateur qui nous grandit, quoi qu’il arrive. Ce moment où nous démontrons cela : « Sans nous, les États ne sont rien que des bureaux vides, des uniformes montés sur des cintres, des ordres lancés à des cours désertes ; les usines sont des hangars, les sociétés des sonneries de téléphone sans réponse, les rues de nos villes des rideaux de fer descendus, les grandes fortunes des amas de papier. »

PORTRAIT

Léonard Vincent est un journaliste et écrivain français. Il est le fils du compositeur de musique Roland Vincent. Après des études de philosophie, notamment sous l’autorité de Robert Misrahi à la Sorbonne, puis un passage par l’écriture de théâtre, il commence une carrière de journaliste à TF1 en 1999, recruté par Anne Sinclair. Responsable de la rubrique Monde du site Internet de la chaîne de télévision (1999-2004), il couvre notamment l’échec des négociations de paix israélo-palestiniennes, ainsi que les attentats du 11 septembre 2001 et leurs conséquences sur l’actualité mondiale (Afghanistan, Pakistan, Irak...).

À LIRE ET À VOIR « Éloge de la grève », Léonard Vincent, Don Quichotte-Seuil (septembre 2020). Texte lu le 1er mai 2018 par Jean-Pierre Darroussin : https://www.youtube.com/watch?v=shG4E3NX9ng. Texte lu le 27 février 2022 par Jacques Weber https://www.youtube.com/watch?v=__Q3rLo29jc.

par Dominique Sicot

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