Marc Dubois

Éloge de la grève et de la manifestation

par Mourad Guichard
Publié le 21 avril 2023 à 17:08

Depuis le 19 janvier, première journée de mobilisation contre la réforme des retraites Macron-Borne, dans plusieurs villes des Hauts-de-France, manifestations, blocages et occupations de sites se multiplient. Une nouvelle aventure pour certains salariés qui vivent, à cette occasion, des rapports humains et de solidarité jusqu’alors méconnus. À l’heure où les casseroles résonnent malgré d’incroyables interdictions, nous sommes allés à la rencontre de ces femmes et de ces hommes qui incarnent les luttes sociales du moment.

Damien, Pénélope, Allison... Il et elles font partie des milliers de salariés qui, depuis trois mois, sont investis dans la lutte contre la réforme des retraites, mais aussi pour l’amélioration de leurs conditions de travail. Ils se retrouvent dans les manifestations, sur les piquets de grève, dans les assemblées générales. Et découvrent ou redécouvrent ce que peuvent être des rapports humains du genre solidaire. « D’entendre les chants unitaires, scandés par des centaines de manifestants, ça me fait toujours quelque chose », confie Michelle, technicienne dans une grande surface proche de Beauvais (Oise). Elle n’est pas syndiquée, mais participe aux rassemblements pratiquement depuis le début. « Je ne vois que des chants et des sourires sur les visages. Et surtout, je vois mes collègues sous un autre jour. » Damien, cheminot CGT installé à Amiens (Somme), explique ce constat qu’il partage fortement. « Les manifestations permettent une sociabilisation de la lutte. C’est-à-dire que l’on s’y reconnaît des alliés », assure-t-il. « C’est très tonique de voir que l’on est pas tout seul. Et c’est joyeux, il suffit de voir comment ça se passe dans les cortèges. » Pour Allison, ouvrière depuis 23 ans chez Vertbaudet (Nord), cette allégresse va au-delà des seuls rassemblements. Elle et ses camarades sont en lutte depuis le 20 mars pour des revalorisations salariales. Les salariés, majoritairement des femmes, se retrouvent chaque jour autour d’un piquet de grève installé face aux grilles de l’entreprise de Marquette-lez-Lille. Une première dans l’histoire de l’enseigne de puériculture. « Ça nous fait du bien de pouvoir enfin exprimer à l’extérieur ce qui se passe à l’intérieur », se félicite la représentante syndicale CGT. « La direction avait réussi à nous séparer grâce à des prises de service éloignées, nous voici toutes réunies ! » La militante, qui arrive sur le piquet de grève à 4 heures du matin, raconte ces moments où elles prennent enfin le temps des rires et des échanges ; mais pas seulement. « La solidarité extérieure est phénoménale, c’est un truc de fou ! Les gens nous apportent des croissants, des packs d’eau, nous font part de leur soutien, versent de l’argent dans la caisse de grève. Nous sommes toutes épatées par cet élan de solidarité. » Pour Pénélope, une étudiante en formation continue habituée des mobilisations et des mouvements sociaux, ces luttes ont aussi un caractère de révélateur. « Nous sommes ensemble et voyons qui sont nos alliés pour les événements à venir », explique-t-elle. « Si on sent que les solidarités sont plus fortes que le reste de l’année, il faut à chaque fois se préparer à la violence qui peut surgir en fin de conflit. » Quelle que soit l’issue du conflit, Allison est certaine d’une chose, les traces laissées par cette expérience de lutte demeureront indélébiles. « Cette solidarité-là, on ne nous l’enlèvera pas. Si demain une des grévistes est en galère, on sera là pour elle ! »

CHRONOLOGIE DES ÉVÈNEMENTS

Depuis le 19 janvier dernier, dans le cadre de la réforme des retraites, il y a eu douze journées de mobilisation et de nombreux blocages d’entreprises. Fos-sur-Mer, Donges, La Mède... Courant mars, de nombreuses raffineries étaient à l’arrêt. Le gouvernement avait alors réquisitionné des salariés, action d’entrave qui avait provoqué la colère des salariés en lutte. Une grève des éboueurs avait, courant mars, défiguré les artères parisiennes et montré à quel point le travail des premiers de corvée était essentiel. Un mouvement largement soutenu par la population malgré les désagréments. Les 7 et 23 mars ont marqué l’apogée des rassemblements avec, chaque jour, 3,5 millions de manifestants sur toute la France et dans des communes de toute taille, dont 10000 à Dunkerque ou encore 12 500 à Beauvais. Le 23 mars, la France a aussi connu d’imposantes mobilisations. À Paris, 800 000 personnes ont défilé dans les rues. Elles étaient 280 000 à Marseille et 150 000 à Toulouse. Aujourd’hui, tous les regards convergent vers la manifestation du 1er mai qui pourrait être un « raz-de-marée », selon les termes de Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT.

par Mourad Guichard

par Mourad Guichard