On apprend beaucoup dans cette très sérieuse « Analyse retraites » publiée par des agents de l’Insee. D’abord, qu’elle est bien courte l’idée assénée sur le ton de l’évidence selon laquelle le recul de l’âge de la retraite serait inévitable vue la diminution du nombre d’actifs par rapport au nombre de retraités. Elle fait abstraction du fait essentiel que « les gains de productivité compensent très largement le vieillissement de la population ». Si, depuis 1960, le nombre d’actifs cotisants pour un retraité est passé de 4 à 1,7, la productivité horaire du travail a, elle, été multipliée par 5 ! Là où, en 1960, sur 100 personnes, 80 actifs (pour 20 retraités) travaillant 45 heures par semaine produisaient 3 600 « unités de biens » soit 360 unités par personne (active ou retraitée), aujourd’hui 63 actifs (pour 37 retraités) travaillant 35 heures par semaine, produisent 11 025 « unités de biens », soit 1 100 unités par personne (active ou retraitée), soit trois fois plus. Résultat : « Cette évolution de la productivité rend inutile tout report de l’âge de départ à la retraite pour compenser le vieillissement de la population et maintenir un niveau de vie croissant. »
Paradoxe
Nos agents de l’Insee pointent également le paradoxe que constitue la stagnation depuis dix ans (autour de 14 % du PIB) des dépenses de retraite, alors que le nombre de retraités augmente. Une anomalie qui se renforce dans trois des quatre scénarios présentés par le Conseil d’orientation des retraites (COR) sur l’avenir du système (dans le quatrième, cette part resterait proche du niveau actuel). Et là, pas besoin d’être un spécialiste pour comprendre que cette non-augmentation des dépenses de retraite découle des réformes à l’œuvre depuis 1993 qui, toutes, visaient un recul de l’âge de départ et une dégradation du niveau de vie des retraités. Les seules mesures prises entre 2010 et 2015, nous apprend le document des agents de l’Insee, ont eu pour effet d’écourter, en moyenne, de deux ans le temps passé en retraite et de diminuer le total des pensions de 4,5 % en moyenne pour la génération 1980. Le projet de réforme actuel du gouvernement ne vise rien d’autre qu’à pousser le bouchon encore plus loin. Comment ne pas dire stop ?
Le « coût » à venir des retraites surestimé ?
Nos agents de l’Insee s’arrêtent sur cette autre idée, semblant aller de soi, d’une espérance de vie grandissant sans cesse comme par magie, qui justifierait de retarder mécaniquement l’âge de départ en retraite. Encore une idée courte. « L’espérance de vie plafonne depuis quelques années et rien ne garantit malheureusement qu’elle progressera de façon significative dans les années à venir », font remarquer les auteurs de l’étude. Aux États-Unis, elle s’est même effondrée pour retrouver son niveau de... 1996 ! En France, la progression de l’espérance de vie en bonne santé, qui est de seulement 65,9 ans chez les femmes et de 64,4 chez les hommes, « se fait de plus en plus fragile ». Et comme les scénarios du COR sont basés sur des projections d’espérance de vie en progrès continu, le « coût » des retraites, dont on nous dit qu’il s’amplifierait de façon considérable, s’avère « très probablement surestimé »... tout comme le fameux déficit à venir qui, nous dit-on, obligerait à passer aux 64 ans.
Une hausse très modérée des cotisations patronales suffirait
Enfin, le comité de mobilisation de la direction générale de l’Insee souligne la diminution continue de la part des cotisations patronales dans le financement de la protection sociale. Moins 16 points entre 1990 et 2020 ! « L’apparition d’un éventuel déficit des régimes de retraite repose pour beaucoup sur l’assèchement des recettes de la Sécurité sociale », font remarquer les agents de l’Insee. Et de conclure : « Une hausse très modérée des cotisations patronales, sans même envisager la suppression de toutes les exonérations de cotisation (estimées à 90 milliards d’euros en 2019), permettrait non seulement d’éviter l’apparition d’un déficit, mais de revaloriser les pensions et d’abaisser l’âge de départ à la retraite. » Madame Borne, Monsieur Dussopt, entendez-vous ?