Réforme des retraites

Sept acteurs de la culture commentent les événements

par Mourad Guichard et Philippe Allienne
Publié le 3 avril 2023 à 10:12

Selon les derniers sondages, 70 % des Français soutiennent toujours la mobilisation contre la réforme des retraites. Dans les rues des villes de France, pratiquement chaque semaine, des manifestations continuent de réunir des centaines de milliers de personnes. Parmi elles, on retrouve des salariés du public, du privé, des étudiants, des cadres, des ouvriers, des chômeurs, des retraités... Mais aussi, depuis le début du mouvement, des acteurs du monde de la Culture. Aujourd’hui, sept d’entre-eux nous confient leur vision du mouvement social en cours et celle d’une démocratie qui peine à exister.

Marc Alexandre Oho Bambe, poète et slameur lillois

Une démocratie malade

« Je n’ai pas vécu la mobilisation de l’intérieur, je me trouvais à l’étranger. En rentrant, j’ai découvert des musiciens, militants ou simplement citoyens, qui ont été pris à parti dans les manifestations. Le sentiment que cela m’inspire est que, lorsqu’une démocratie est malade de ses extrêmes, elle n’est plus une démocratie. On gouverne par le peuple et pour le peuple. Quand on passe en force, c’est qu’il n’y a plus de place pour le peuple. » Le slameur lillois Capitaine Alexandre, qui se dit «  précaire privilégié » comprend parfaitement les inquiétudes de nombreux artistes qui se questionnent sur leur retraite, leur statut, leur précarité. « Je me révolte avec eux contre la brutalité du pouvoir. Du reste, cette réforme n’est pas la première qui me questionne sur la démocratie. Que reste-t-il d’ailleurs, de la trilogie républicaine : Liberté, égalité, fraternité ? »

Anne Conti, comédienne et metteuse en scène

Partie pour ne pas lâcher

« Le rôle du président Macron est d’écouter la voix du peuple et de veiller à son bien-être. » Pour la comédienne qui se produit actuellement au Théâtre du Nord qui était en grève le 23 mars, « Emmanuel Macron est un bulldozer au service de la finance. Or, la culture est à l’opposé du chiffre et de la recherche de rentabilité. » Elle en est persuadée, la lutte paie. « J’ai l’impression qu’on est partis pour ne pas lâcher », dit-elle. Appelant à « faire collectif », elle s’indigne de la réaction de ce public agacé par les propos du Premier violon de l’ONL (voir ci-dessous). « La pénibilité existe aussi dans nos métiers ! Cela se traduit par les horaires flottants, le travail le soir et le week-end, la non prise en compte de l’ancienneté, etc. »

Murielle Compère-Demarcy, écrivaine

Sans prendre la réalité en compte

« Sans être engagée dans un parti politique, je me sens d’un tempérament révolutionnaire. Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, j’ai fait toutes les manifestations sur Compiègne et me déclare gréviste dans l’établissement scolaire où je suis enseignante-documentaliste. La méthode qui accompagne cette réforme est violente. Les choses sont prises à l’envers et ce gouvernement affiche un vrai mépris à l’adresse des travailleurs. Autour de moi, des ouvriers du bâtiment sont usés, ont le dos cassé. Cette réforme a été décidée sans prendre la réalité en compte. Depuis que nous avons ce président mal élu qui prend des décisions aléatoires, on ne peut se projeter. Mais quoi qu’il advienne de cette mobilisation, elle laissera des traces. À la moindre étincelle, tout peut repartir, car la colère est toujours là. Macron ne se relèvera pas de cet épisode  ».

Arnaud Vanlancker, dit Nono

On s’en prend aux précaires

« Je ne vais pas changer le monde avec mon accordéon, mais je soulage les gens. » Connu pour sa générosité, le patron de la compagnie du Tire-Laine (en grève) se bat pour ses plus jeunes camarades. « Ce qui m’ennuie le plus, c’est le côté antidémocratique de ce qui se passe. L’utilisation du 49.3 est lamentable. On s’en prend aux précaires, c’est scandaleux ». Lui non plus ne peut dissimuler sa colère. « Chez les musiciens, on n’est pas payés pour les répétitions. L’instrument nous déforme le corps. Mon accordéon a eu raison de mon épaule droite et de mon dos. Cela dit, nous sommes des privilégiés par rapport aux ouvriers, aux éboueurs, etc.  » C’est que Nono n’oublie pas qu’il a été chaudronnier 15 ans durant. « Je ne compare pas ce qui n’est pas comparable.  » Mais il s’indigne des « petits jeux de pouvoir » des élus.

Corinne Matyjasik, chorégraphe et professeur de danse

La culture est en difficulté

Elle n’est pas directement concernée par la réforme. Travailleuse indépendante, la responsable de la compagnie Terpischore, à Cambrai, déplore la difficulté de maintenir un cap budgétaire pour organiser ses spectacles. La location d’un théâtre, en raison des coûts énergétiques, les conditions de travail des artistes, etc. ne facilitent pas la diffusion de la culture. 50% de l’effectif de sa compagnie se sont mis en grève contre la réforme des retraites.

Chrystelle Lamoureux

L’art retraite et la retraite

Chrystelle Lamoureux, 50 ans, peintre, d’Amiens, réalise de beaux et grands tableaux en technique mixte (peinture huile, acrylique, etc.). « Pour une artiste qui travaille sur la vie dans sa globalité, de son origine à son pourquoi, il est important de profiter la l’existence, du temps qui nous est imparti ; n’oublions pas que le terme travail découle du latin tripalium un instrument de torture composé de trois pieux. Nous sommes arrivés dans une société où l’étymologie a pris le pas. La vie est un trésor ; il faut la chérir. Elle ne doit pas être une souffrance quotidienne à la tâche. Travailler pour vivre dans de bonnes conditions ? Bien sûr ; là, la population est en réelle souffrance. D’où la colère des manifestants que je comprends. La révolte est légitime. Dans mon travail d’artiste, je sais que je n’aurais pas de retraite ; je créerai jusqu’à ma mort, puisque mon travail n’est pas une souffrance, mais au contraire, qu’il est vital pour moi, contrairement à ces millions de salariés qui effectuent un boulot alimentaire non enrichissant avec lequel ils ne sont pas reconnus. »

Corinne Masiero, comédienne

Créons un nouveau modèle de société

A propos de son sentiment sur la réforme des retraites. « Que dire si ce n’est : colère, rage, peur, pleurs, hurlement, indignation contre le mépris, l’humiliation, le viol sociétal de ce gouvernement et de ce système politique et économique. Soutenons et remplissons les caisses de grève, participons aux assemblées générales, aux manifs, aux actions, aux blocages, à tous les soutiens à la lutte. Créons un nouveau modèle de société ».

Gilles Fromonteil, plasticien

Le bouillonnement de la colère

  Il a exposé au musée de La Piscine, à Roubaix, et il reviendra. Gilles Fromonteil fait toutes les manifestations contre la réforme des retraites. « Même si je ne peux plus courir devant les CRS ! » Artiste plasticien, il n’est pas directement impacté. « Ce n’est pas le cas du monde de la culture en général. Nous sommes solidaires. D’autant que le Covid nous a mis à genou. » Pour lui, l’attitude d’Emmanuel Macron « pose un vrai problème de démocratie. Il détricoque tout ce qui a été mis en place en matière de solidarité. J’ai honte ». Pour exprimer le bouillonnement de la colère, il a demandé à Gérard Depardieu l’autorisation de faire son portrait. « Avec toute l’intensité du bonhomme et tout ce que je ressens.  »

Le mépris

La scène choquante qui s’est déroulée dans la salle du Nouveau Siècle de Lille, fin janvier, a fait le tour du web. On y voit un musicien tenter de lire un communiqué expliquant qu’une pratique artistique exigeante ne pouvait s’accommoder d’un départ à la retraite repoussé de deux ans. « Cette réforme est brutale et injuste particulièrement pour ceux qui... ». On ne pourra en entendre beaucoup plus. Si plusieurs spectateurs applaudissent cette prise de position, ils sont très nombreux à huer les musiciens, exigeant qu’on laisse place à la musique. Un dédain de petits bourgeois ayant plus d’empathie pour les cordes et les cuivres que pour les saltimbanques censés les divertir. Le sentiment d’assister à une scène d’un autre temps mâtinée d’une vieille odeur de poussière et de naphtaline

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Hauts-de-France