• Qu’est-ce qui vous a mené à écrire cette proposition de résolution ? Ce n’est pas moi qui ai poussé à cette ré- solution. C’est l’actualité. Il y a eu l’assassinat de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh, le 11 mai, il y a la poursuite de la colonisation, il y a des réactions internationales sur le sujet. Je me suis dit, comme d’habitude, pas plus et pas moins, qu’il fallait documenter tout ça. Il y a des interpellations comme le rapport d’Amnesty International sur la question de l’apartheid dans ce territoire. J’ai fait la lec- ture de tout cela, j’ai écouté les uns et les autres et j’ai estimé qu’il fallait faire quelque chose de factuel. Cela donne lieu à une résolution qui s’appuie sur les faits et les témoignages des uns et des autres et en allant des ONG jusqu’à l’ONU en passant par des interpellations de chefs d’État ou de ministres. C’est tout. Il y a des références historiques ou littéraires que je ne me suis pas autorisé à amender ou à actualiser. Cela semble choquer, mais quand vous prenez des références, généralement vous n’en transformez pas la pensée. • Ce sont donc bien ces faits, notamment la colonisation et la mort de Shireen Abu Akleh pour laquelle la responsabilité de l’armée israélienne est mise en cause, qui vous ont motivé ? Pour moi en fait, c’est un combat qui a commencé il y a longtemps. Le combat pour la reconnaissance de l’État palestinien, pour que cesse la colonisation par Israël, pour que le droit prenne le dessus. Si l’on remonte plus d’une décennie en arrière, j’ai été membre d’une délégation qui, en 2009, a rencontré le Premier ministre israélien Ehud Olmert (membre du Likoud et Premier ministre du 14 avril 2006 au 31 mars 2009 - ndlr) et je lui ai dit de vive voix, dans son bureau, ce que je pensais de la politique d’Israël. Je n’ai pas de problème avec la relation avec Israël. Je le dis à ceux qui sont concernés et pas par l’intermédiaire de documents. Chacun sait ce que j’ai dit. Je l’ai dit devant témoins comme le président de l’Assemblée nationale de l’époque, Jean- Marc Ayrault (il était alors président du groupe socialiste à l’Assemblé nationale – ndlr). C’était juste après l’Opération « Plomb durci » qui s’est déroulée du 27 décembre 2008 au 19 janvier 2009. Notre conversation portait donc sur les violences qu’une fois de plus Israël commettait de façon disproportionnée à l’encontre de la Palestine. • Il n’empêche que cette pro- position de résolution avec les termes choisis, « apartheid » ou encore « groupe racial » a déclenché beaucoup de colère. Si vous suivez mes combats, je me fais incendier à propos de la Palestine, je me fais incendier quand je parle du Sahara occidental et du respect du droit international, je me fais incendier par d’autres quand je parle des Ouïgours et du gouvernement chinois. À chaque fois, je pèse mes actes. S’agissant des Ouïgours, je n’ai pas voté la résolution dénonçant des crimes contre l’humanité commis par la Chine. Sur ce point, je considère en effet que c’est à l’ONU de décider... Mais cela ne m’empêche pas de dire qu’il y a des crimes. Concernant Israël, je ne cible pas uniquement ce pays et le conflit qui l’oppose à la Palestine, contrairement à ceux qui veulent me faire passer pour un antisémite. J’ai par exemple aussi dénoncé l’attitude la France envers Mayotte. Je ne suis pas à géométrie variable. J’ai la même attitude lorsque Poutine colonise une partie du territoire ukrainien par la guerre, quand le roi du Maroc colonise le Sahara occidental. Mais ces questions ne font pas le même débat en France que celui concernant Israël et la Palestine. Je pense qu’une pensée à géométrie variable sur les questions internationales, ce n’est pas générateur de paix, c’est générateur de déséquilibres. Je suis pour le respect de tous les peuples, y compris les tout petits. • Comment définissez-vous le sionisme ? Comment appelez-vous la colonisation du territoire palestinien ? Je pense que c’est le résultat d’une politique sioniste. J’ai le sentiment que la colonisation est une expression des politiques sionistes. • Que vous refusez d’amalgamer avec l’antisémitisme... Je n’ai jamais eu de problème avec la religion juive ni avec aucune autre. Je suis athée, je n’ai pas de problème avec la religion. Je fais le distinguo. Quand j’appelle à combattre une politique israélienne, je ne me sens ni antisémite ni raciste vis-à-vis d’Israël. Quand j’appelle à combattre une politique chinoise, je ne suis pas attaqué pour être anti-chinois, quand j’interpelle sur la question iranienne, on ne me traite pas d’anti-musulman... Lorsqu’il est question de l’État d’Israël, on a l’impression qu’il y a des choses que l’on ne peut pas dire. Au nom de quoi y aurait-il un État dont on ne pourrait pas critiquer la politique ? • Que souhaitez-vous ? J’aimerais que le positionnement israélien évolue, dans l’intérêt des Palestiniens et dans l’intérêt de l’apaisement. J’aimerais que le gouvernement français ait le courage nécessaire. Quand la France commence à dire « ça suffit », quand elle commence à dire les choses avec courage et précision, les gouvernants israéliens sont attentifs. J’ai le sentiment que dès lors où personne ne réagit, les gouvernants israéliens pensent qu’ils sont dans leur droit. Quand j’ai dit à Ehud Olmert ce que je pensais, quand la délégation a quitté son bureau, il m’a salué et l’ambassadeur de France en Israël m’a dit : « Il vous a fait le salut du guerrier parce qu’il a considéré qu’il n’y a que vous qui lui avez dit le fond de votre pensée. » Les Israéliens aiment aussi qu’on leur dise ce que l’on pense. J’ai expliqué les choses politiquement, sans être insultant évidemment, parce que je parlais à un Premier ministre et non à un représentant religieux, je parlais à un chef d’État. Quand je parle à un chef d’État, je fais de la politique. J’ai l’impression que nous sommes entrés dans une époque où il y a des sujets tabous que l’on n’a pas le droit d’aborder. • À en croire les termes de votre entretien avec Ehud Olmert, même cela remonte à plus de dix ans, on pourrait être optimiste ? Je pense que l’optimisme doit s’écrire par l’intervention courageuse des acteurs politiques internationaux vis-à-vis d’Israël. Si chacun prend sa part, reconnaît l’État palestinien et aide les deux États ainsi reconnus, et donc à égalité, à cohabiter et à créer les conditions pour une cohabitation efficace, apaisée, respectueuse réciproquement, eh bien il n’y a pas de raison pour que cela ne marche pas. Dans ces conditions-là, on peut être optimiste. À condition d’y aller. Mais dans l’immédiat, non, je ne suis pas optimiste parce que chaque jour qui passe voit la situation s’aggraver. Personnellement, pour conclure et si je peux me tromper, je crois qu’à un moment donné il faut avancer. Par exemple, j’ose espérer que le député socialiste Jérôme Guedj, puisqu’il considère que ma démarche n’est pas bonne, va proposer autre chose pour créer les conditions de l’apaisement. Mais s’il faut ne parler de rien... Par exemple, le roi du Maroc nous demande la même chose par rapport au Sahara occidental : « N’en parlez pas ! » D’ailleurs, et comme par hasard, le roi du Maroc et Israël sont en train de s’allier. Je me dis qu’il y a un sujet quand même ! On ne peut pas laisser faire les tout-puissants comme ça. C’est comme si on ne pouvait rien dire sur l’intervention de Poutine au Donbass. Tout cela regarde la communauté internationale. On ne peut pas dire que certains dossiers concernent la communauté internationale et d’autres ne la concernent pas. Je ne peux pas être d’accord avec ce type de raisonnement.
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Jean-Paul Lecoq
« Les dirigeants israéliens aiment aussi qu’on leur dise ce que l’on pense »
Publié le 29 juillet 2022 à 15:53
Après les réactions suscitées par la proposition de résolution condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien, le député Jean-Paul Lecoq confirme ses convictions et ses combats. Il est vice président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. C’est lui qui est à l’origine du texte.