« Notre PPL, explique la sénatrice Michèle Gréaume, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, s’appuie sur les travaux menés depuis vingt ans au Parlement (on peut notamment citer la PPL de 2017 présentée par Michelle Demessine et Christine Prunaud - ndlr), sur un travail réalisé avec des associations et des ONG et avec des représentants des salariés de l’industrie de l’armement. »
Évidemment, le contexte de la guerre en Ukraine ne peut que relancer le débat. « La guerre en Ukraine ouvre une ère très dangereuse. Le réarmement en Europe s’accélère, comme en Allemagne. Les tensions augmentent dans la zone indopacifique. Le droit international est dangereusement minoré. Pour notre part, nous affirmons notre attachement à la Charte des Nations Unies, et à son article 51 proclamant le droit des États à user de la légitime défense pour protéger leur intégrité territoriale, mais aussi le recours privilégié à la diplomatie et à la résolution pacifique des différends », expliquent les rédacteurs du projet de loi. Outre que la circulation accrue des armes a un impact désastreux sur la stabilité mondiale, l’impact climatique est tout aussi important. L’armée américaine, par exemple, « génère 59 milliards de tonnes de CO2, un volume équivalent aux émissions annuelles du Portugal ou de la Suède. »
La France n’est pas en reste. 3 ème exportateur mondial, elle a vu ses ventes augmenter de 59% entre 2012 et 2021. Ces ventes massives résultent d’orientation politiques peu débattues mais clairement assumées. Pour preuve, ce qu’en dit un rapport du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 :« la France fait le choix de considérer que l’industrie de défense est une composante essentielle de son autonomie stratégique. Elle est aussi un facteur de compétitivité pour l’ensemble de l’économie. Elle joue un rôle majeur pour l’emploi industriel. Elle fonde aussi l’expression d’une ambition à la fois politique, diplomatique et économique. » Le groupe CRCE pointe un développement des scandales, ces dernières années, liés à la politique d’exportation de la France : livraison de matériels avec plusieurs États sous embargos de l’UE, de l’ONU ou de l’OSCE, ; livraison de matériels à des États engagés dans des conflits où sont ciblées massivement les populations civiles (et où sont donc commis des crimes de guerre), vente de dispositifs de surveillance (biens à double usage) à des États pratiquant régulièrement des atteintes massives aux droits humains (Libye, Qatar, Arabie Saoudite, Maroc...). Le dernier scandale en date porte sur la plainte d’ONG contre Thalès, Dassault et MBDA, en juin de cette année. Ces entreprises sont accusées de complicité de crimes de guerre en raison de leurs livraisons d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis, engagés dans une guerre sanglante au Yémen. Pour les sénatrices et sénateurs, « l’exportation à tout-va n’est pas un bon modèle économique et de défense ».
Il convient plutôt de contrôler les ventes d’armes, un contrôle que les élus jugent représenter un « impératif démocratique. » La France, expliquent-ils, « est signataire de nombreuses conventions internationales interdisant ou limitant fortement certains types d’armes. Elle est aussi engagée par plusieurs régimes multilatéraux concernant les exportations : embargos de l’UE, de l’ONU, de l’OSCE, Code de conduite de l’UE, et bien-sûr traité sur le commerce des armes (TCA) de 2013. Il est temps de mettre les actes de notre pays en conformité avec ses engagements internationaux, aujourd’hui régulièrement violés dans le cadre des exportations. » Plus précisément, les signataires de la proposition de loi regrettent que les dispositifs de contrôle existants (licences d’exportation, Commission Interministérielle pour l’Étude des Exportations de Matériels de Guerre, contrôles de la DGA) sont tous placés entre les mains du pouvoir exécutif. Ils échappent ainsi à la transparence et au débat contradictoire. Cela explique en grande partie les dérives constatées. Autre grief : « le Parlement est mis à l’écart. Le rapport annuel qui lui est présenté ne comporte pas les données permettant un contrôle effectif, et il ne fait de toute façon l’objet d’aucun débat. Enfin, les assemblées sont empêchées de manière croissante d’accéder à l’information au motif du Secret Défense. » 72% des Français seraient favorables à un contrôle renforcé du Parlement sur les ventes d’armes. Mais ces attentes s’expriment aussi au sein des entreprises de l’armement. « Dans les nouvelles générations d’ingénieurs mais pas seulement, l’environnement, les droits humains, la paix, constituent des préoccupations croissantes. »
Aux États-Unis, le Congrès peut bloquer toute autorisation d’exportation par le biais d’une motion commune. Washington limite très fortement l’émission de licences globales au profit de licences individuelles, qui obligent à plus de contrôles. Le Royaume-Uni a mis en place depuis 1999 un débat parlementaire sur la base du rapport annuel sur la politique d’exportation produit par le Gouvernement. Tous les trimestres, l’ensemble des données brutes sur les licences d’exportation est mise en ligne en accès libre sur le site du Gouvernement. Cette règle a également cours aux Pays-Bas. L’Allemagne a mis en place depuis 1982 un contrôle du Parlement grâce à un débat suivi d’un vote sur le rapport annuel, et des auditions en amont par les commissions parlementaires de tous les acteurs concernés par un contrat de vente. La Suède a établi la saisine automatique du Parlement dans le cadre de contrats majeurs d’armement avec l’étranger. Par ailleurs, la politique d’exportation des armes fait l’objet de deux rapports depuis 1985, un issu du Gouvernement et un de l’Inspectorat national des produits stratégiques, lié au Parlement.
Le groupe parlementaire accompagne sa PPl d’une série de propositions :
- Organisation d’un débat annuel au Parlement après le rapport du ministère de la Défense.
- Faire en sorte de rendre le rapport du ministère de la Défense plus précis : indiquer le matériel à finalité duale, préciser les composants d’armes, ajout des destinataires et usages finaux des matériels exportés...
- Création d’une délégation parlementaire en charge du contrôle, composée de 6 députés et 6 sénateurs représentant les sensibilités politiques ainsi que des présidents de Commissions.
- le gouvernement doit l’avertir sous 15 jours des licences accordées.
- Création d’un droit de veto sur tout contrat.
- La délégation peut entendre les membres du gouvernement, le SG de la Défense ainsi que les représentants du personnel et organisations représentatives des entreprises exportatrices d’armements.
- Elle peut recueillir l’avis de toute personnalité qualifiée dans les domaines du droit international humanitaire, du droit international public ou de l’économie de la défense. - Les membres de la délégation reçoivent l’habilitation Secret Défense.
- Renforcement du rôle des Commissaires du gouvernement dans leur mission de contrôle des entreprises exportatrices.
- Suppression des licences d’exportation globales, source d’opacité.
- Reprise du projet de loi de 2006 sur la violation des embargos, jamais promulgué - définition de la notion d’embargo dans le Code Pénal et prévoyant les peines applicables.