Entretien avec Philippe Martinez

« Il ne faut pas un plan de relance, mais un plan de rupture »

par Philippe Allienne
Publié le 28 août 2020 à 10:53

Le secrétaire général de la CGT débattra ce samedi 29 août, avec Fabien Roussel, des nouveaux modes de production pour le 21ème siècle. Il répond à nos questions et revient sur les réalités qui s’imposent aux travailleuses et travailleurs.

Comment la CGT conçoit-elle les modes de production pour aujourd’hui et demain ?

C’est un sujet sur lequel la CGT travaille depuis très longtemps. Comment conjuguer développement industriel et préservation de l’environnement. De ce point de vue, nous refusons d’opposer ce que certains appellent la « vieille industrie » à l’industrie du futur. Il y a évidemment des choses à construire. Mais grâce à des investissements et à de la modernisation, on peut créer de l’emploi dans des entreprises existantes tout en répondant aux enjeux environnementaux.

Par exemple ?

Je cite souvent la Chapelle-Darblay, à Rouen, qui recycle du papier et que le groupe propriétaire veut fermer pour des raisons de rentabilité. Nous pensons au contraire que c’est un bon exemple d’entreprise qui doit se développer du fait de la nature de son activité et de son positionnement entre une gare de fret et la Seine. Dans les Hauts-de-France, il y a aussi de nombreux exemples comme la sidérurgie avec des investissements permettant de préserver l’environnement, il y a les projets hydrogène, etc. L’idée, en fait, c’est de produire et consommer autrement. Il ne s’agit pas de tout raser pour une croissance verte. La CGT a beaucoup d’idées là-dessus.

Comment voyez-vous la rentrée sociale ?

Les salariés sont confrontés à une double problématique : une crise sanitaire avec les conséquences économiques et surtout sociales. La question qui se pose est donc de savoir comment on aborde cette rentrée en contestant le fait que ce sont les salariés qui continuent à payer la crise, notamment avec les nombreux plans de suppression d’emplois existants ou prévus. Et en même temps, il faut répondre au sort réservé à celles et ceux qui, comme les soignants et les « premiers de corvée », ont joué le rôle que l’on sait pendant le confinement. Le Ségur de la santé n’a pas répondu aux personnels hospitaliers et médico-sociaux. Mais je pense aussi à tous les autres, dans le secteur du commerce, les agents de sécurité, le service public, etc. dont on a vu combien ils sont indispensables. On a dit des choses magnifiques sur eux, mais aujourd’hui ils sont payés comme en février. Il y a besoin de parler salaire, parce que les salaires ne sont pas ennemis de l’emploi. Et puis je constate avec satisfaction que tout le monde ou presque parle des 32 heures aujourd’hui. Le débat revient. Or, cela fait cinq ans que la CGT dit que l’on doit réduire le temps de travail pour améliorer les conditions de travail.

Le gouvernement va annoncer son plan de relance le 3 septembre.

La CGT porte une véritable transformation sociale de la société. Nous souhaitons un plan de rupture et non un plan de relance comme le propose le gouvernement. Si le plan de relance c’est la continuité de ce qu’on connaît, c’est-à-dire aide aux entreprises, exonérations de cotisations, suppression des impôts, ce n’est pas ce que nous voulons. Nous parlons de plan de rupture parce qu’il faut rompre avec ces politiques que l’on connaît depuis des décennies.La crise sanitaire a remis le télétravail sur le devant de la scène. Le Premier ministre dit qu’il faut l’organiser mieux et fait appel aux « partenaires sociaux ».

Que lui répondez- vous ?

Il faut encadrer le télétravail. C’est pour cela que la CGT demande depuis plusieurs mois une négociation interprofessionnelle pour qu’il y ait un cadre collectif. Ce qui a été vécu ces derniers mois par de nombreux salariés, ce n’est pas du télétravail, c’est du travail à la maison. Ce n’est pas la même chose. Encadrer le télétravail, c’est admettre que c’est une solution, mais cela ne peut pas être l’alpha et l’oméga en réponse à la crise sanitaire. On ne peut pas faire que du télétravail. Le travail, c’est une activité collective. Il y a besoin d’un collectif de travail. On a besoin d’échanger sur le travail, mais aussi avec les collègues. C’est pour cela que nous demandons une négociation pour aboutir sur un accord national interprofessionnel qui permet d’encadrer le télétravail. Mais c’est le Medef qui refuse.

Vous parlez de rupture. Mais que doit être le travail aujourd’hui ?

Le travail est souvent abordé à travers les thèmes de l’emploi ou du chômage. Or, il faut une vraie réflexion sur le sens du travail. Il y a beaucoup de travailleurs et de travailleuses qui souffrent au travail parce qu’on les empêche de bien faire leur travail. Parce qu’on ne leur en donne pas les moyens, parce qu’ils ne sont pas assez nombreux. Parce que des décisions économiques et financières s’opposent à des décisions de bon sens de la part des salariés. Il faut redonner du sens au travail et il faut que les travailleurs et les travailleuses se réapproprient leur travail. C’est pour cela qu’il faut une rupture et qu’il faut lus de démocratie dans l’entreprise. Depuis des décennies, une logique financière vient percuter tous ceux qui aimeraient bien faire leur travail.

Dans un monde qui se veut de plus en plus consensuel, n’est-il pas de plus en plus difficile d’être syndicaliste ?

Cela fait maintenant plusieurs années que les gouvernements successifs et le Medef veulent imposer une façon de voir aux syndicats. Ces derniers devraient être des experts qui proposent sans demander l’avis de travailleurs. Évidemment, ce n’est pas la conception de la CGT. Notre souci principal, c’est de garder le contact avec les travailleurs et les travailleuses. Qui peut mieux parler du travail que ceux qui travaillent eux-mêmes ?

Que pensez-vous des plans sociaux qui ne reposent pas sur la fragilité des entreprises ? À Cargill Haubourdin, la CGT se bat depuis un an, mais la direction parvient à imposer son PSE avec le soutien de l’État.

Des exemples comme Cargill, il y en a plein. On a besoin, quelles que soient les entreprises, que les salariés puissent non seulement contester, mais aussi stopper un plan de restructuration. C’est pour cela que la CGT demande un droit de veto. Il faut aussi que l’on puisse travailler les alternatives. Or, quand un syndicat propose un projet alternatif, on voit bien que c’est l’actionnaire qui décide et l’État le soutient. L’État devrait au contraire encourager les projets alternatifs. Moi j’aurais tendance à dire, si l’actionnaire n’est pas d’accord pour un projet alternatif, qu’on lui confisque son bien.

Comment voyez-vous l’avenir du syndicalisme et des relations sociales ?

Je suis très optimiste sur l’avenir du syndicalisme si nous ne relâchons pas nos efforts à aller au contact avec les salariés. La CGT en tout cas ne se laissera pas confisquer ses orientations et sa conception du syndicalisme au nom de je ne sais quelles réalités économiques.

(Photo : AFP PHOTO/Denis Charlet)