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Cyclisme

Eddy Merckx a 75 ans !

par ERIC CARON
Publié le 10 juillet 2020 à 15:44

Celui qui possède le plus beau palmarès de l’Histoire du cyclisme vient de fêter ses 75 ans. Chez nos voisins belges, le Cannibale – surnom qui lui avait été attribué en raison de son appétit de victoires jamais rassasié – jouit toujours d’une côte de popularité sans faille. Pour comprendre ce phénomène, nous avons rencontré Johny Vansevenant, journaliste à la VRT (Radio TV publique d’expression flamande), auteur de plusieurs ouvrages consacrés au champion*.

Pouvez-vous nous expliquer d’où vient votre passion pour Eddy Merckx ? Johny Vansevenant : Je suis né en 1958 et donc j’étais très content de sa victoire dans le Tour de France 1969 qu’Eddy a gagné avec près de 18 minutes d’avance, et en particulier la grande étape des Pyrénées vers Mourenx où il s’impose avec près de huit minutes d’avance. Je suis si heureux d’avoir vécu le cyclisme des années 60/70. C’était formidable pour les coureurs belges. Le cyclisme était un peu à nous ! Dans les classiques, nous avions déjà de bons coureurs mais après, avec Merckx, on avait aussi le meilleur dans les tours. Avant, au début des années 60, c’étaient les Français qui dominaient, Anquetil, Aimar, Poulidor, Pingeon ou les Italiens avec Gimondi ou Motta. Les Belges n’étaient pas vraiment forts.

Il y a un an, dans le cadre du Grand Départ du Tour de France à Bruxelles, les Belges ont fait la fête à Eddy Merckx ! Comment expliquez-vous que, plus de 40 ans après la fin de sa carrière, l’engouement reste aussi fort ? Avec Eddy, c’était le panache qui était formidable ! Il ne se contentait pas de gagner. Il gagnait avec des avances énormes, surtout lors de sa meilleure année, 1969. Il gagne le Tour des Flandres avec plus de cinq minutes sur le deuxième, Felice Gimondi et plus de huit minutes sur les suivants, Basso, Bitossi, Dancelli. Même chose trois semaines plus tard lors de Liège-Bastogne-Liège où, après une échappée de près de 100 km avec son équipier Victor Van Schil, il s’impose avec plus de huit minutes d’avance sur Barry Hoban, troisième, Leman, Gimondi et consorts. C’était impressionnant ! Arrive ensuite le Tour de France qu’il remporte avec près de 18 minutes d’avance. D’un autre côté, il est modeste. Ça m’a toujours attiré et je pense que beaucoup de Belges sont comme ça ! Eddy n’a jamais dit d’avance : « Moi, je vais faire ça comme ça, je vais gagner ainsi. » Non, il ne disait rien, il ne méprisait jamais ses adversaires. C’est pour cela qu’il est aussi aimé par les autres coureurs.

Eddy Merckx lors de sa victoire à l’Amstel Gold Race en 1973 ;
© Dutch National Archives, The Hague, Fotocollectie Algemeen Nederlands Persbureau (Anefo), 1945-198

Parlez-nous de l’homme. Pour mon livre, j’ai interviewé Raymond Poulidor, Felice Gimondi, Bernard Thévenet et Bernard Hinault. Ils parlent d’Eddy avec un énorme respect. L’homme est formidable. Ce n’était pas seulement ses prestations mais aussi sa façon d’être. Quand j’étais encore un enfant, en 1967, il commençait à gagner beaucoup de courses : Milan-San Remo, Gand-Wevelgem, la Flèche wallonne et le Championnat du Monde en fin de saison. Il a alors été interviewé par Fred De Bruyne [ancien grand Champion des années 50 et commentateur pour le télévision flamande, ndlr] et je me souviens qu’il disait à chaque fois que ç’avait été difficile. Cela m’avait alors impressionné. L’autre force d’Eddy chez nous, c’est qu’il n’est pas seulement flamand, pas seulement francophone, il est les deux. Ses parents étaient flamands et sont venus s’installer après la guerre (1939-1945) à Woluwe Saint-Pierre, dans la banlieue de Bruxelles. Eddy a fait ses études en français et il est bilingue. Il est donc aimé des Flamands, des Wallons et des Bruxellois ! Un autre atout, Eddy a toujours été présent dans les médias !

Qu’a-t-il fait après sa carrière de cycliste professionnel ? Après sa carrière sportive, il a ouvert une usine de fabrication de cycles au nord de Bruxelles. Il était souvent consulté pour discuter sur les courses, sur les coureurs, il a toujours suivi ce qui se passait dans le monde du cyclisme. Il a aussi été coach national dans les années 90 pour les championnats du Monde avec deux titres à la clé – Dhaenens en 1990 et Museeuw en 1996. Il a bien entendu été un père attentif à la carrière de son fils Axel – professionnel de 1994 à 2007 – qui, s’il n’a pas atteint le niveau de son père, a été un très bon coureur avec, entre autres, un titre de champion de Belgique, une étape du Giro d’Italie et la médaille de bronze aux Jeux Olympiques d’Athènes.

Et aujourd’hui ? Eddy a toujours été présent dans la vie des Belges et il est encore très populaire. Il y a un an, sur la Grand Place de Bruxelles, lors du départ du Tour de France, il est monté sur le podium et a été très fortement applaudi ! Oui, Eddy est encore très populaire chez nous ! Il est, je pense, le Belge le plus connu au monde.

Parmi ses 625 victoires [525 sur route, 98 sur piste et 2 cyclo-cross, ndlr], lesquelles sont les plus importantes pour Eddy Merckx ? Eddy parle surtout de prestations. Le Tour de France est tout pour lui, il dit toujours que c’est la plus belle course. La façon dont il l’a gagné la première fois en 1969 reste et restera dans l’histoire. Et dans ce Tour, l’étape qui mène à Mourenx dans les Pyrénées, où il gagne avec huit minutes d’avance, est vraiment la prestation la plus aboutie. Une autre de ses prestations reste pour lui de ce niveau, c’est sa victoire lors du Tour d’Italie, le Giro 1968, de l’étape menant au sommet des Tre Cime di Lavaredo. Il avait, ce jour-là, plus de dix minutes de retard sur un groupe d’échappés. Sous des bourrasques de neige, il les a repris un par un pour remporter l’étape, son grand rival Felice Gimondi terminant à six minutes. Mais des grandes prestations, il y en a beaucoup dans la carrière d’Eddy : le Liège-Bastogne-Liège de 1969, les Tours des Flandres de 1969 et de 1975. Il y a aussi le Record de l’Heure qu’Eddy a battu en 1972 et dont il est très fier.

Si le Tour de France lui a apporté de très grandes joies, c’est peut-être là aussi qu’il a subi ses deux échecs les plus marquants : face à Luis Ocaña en 1971 lors de l’étape arrivant à Orcières-Merlette et en 1975 contre Bernard Thévenet ? Les problèmes d’Eddy ont commencé après le Tour de France 1969. Lors d’une épreuve derrière dernys [sorte de vélo motorisé utilisé lors de compétitions sur piste ou sur route pour des épreuves telles que Bordeaux-Paris, ndlr] en septembre sur la piste de Blois, il chute très lourdement. Son entraîneur, Georges Wambst, décède quelques heures plus tard. Eddy est victime d’un traumatisme crânien et il est également fortement touché au bassin. À partir de cette date, il aura toujours des problèmes de dos et moins de forces dans sa jambe gauche. Eddy le dit lui-même : « Après Blois, le Merckx du Giro 68 ou du Tour 69 n’a plus jamais couru. » Pour illustrer son propos, Eddy explique qu’un coureur devient le plus fort autour de 27 ans et donc qu’il aurait dû gagner les tours de France suivants avec une avance encore plus importante que la première fois. Or, c’est le contraire qui va se passer, puisqu’il gagne le Tour de France 1970 avec « seulement » 12 minutes d’avance. Eddy sera moins bien dans la montagne à cause de cette chute. Alors en 1971, avec un super Luis Ocaña, cela a été très difficile.

Et en 1975 ? Le Tour de France 1975, c’est aussi beaucoup de malchance ! Eddy est malade après les classiques et ne peut disputer le Giro. Pendant le Tour, il y a deux évènements : le coup de poing qu’Eddy reçoit au foie dans la montée du Puy-de-Dôme et dont il souffrira pendant plusieurs jours et puis sa chute au départ de l’étape Valloire-Avoriaz où Eddy se fracture la mâchoire. Sur le Giro aussi, il est devenu moins bon en montagne après Blois. Là, pendant plusieurs années, en plus des grands champions transalpins, il a dû batailler ferme contre le grimpeur espagnol Fuente. Eddy souffrait beaucoup du dos et c’est encore le cas aujourd’hui.

Comment Eddy Merckx procédait-il pour choisir ses équipiers ? Comme Eddy voulait gagner des tours [de France, ndlr], il lui fallait des équipiers suffisamment bons en montagne ou sur des parcours accidentés. Ce qui comptait aussi, pour la notion de groupe, c’était d’avoir des équipiers avec un bon caractère et en qui Eddy savait pouvoir avoir confiance. C’est notamment Guido Reybrouck, équipier en 1968 et 1969 et trois fois vainqueur de Paris-Tours, qui l’a aidé à choisir sa « garde rapprochée ». Ses équipiers sont encore ses amis aujourd’hui. Deux fois par semaine, ils se retrouvent pour une sortie à vélo. Parmi eux, on trouve Jos De Schoenmacker, excellent grimpeur, Jos Spruyt, Frans Mintjens, Herman Van Springel, Karel Rottiers, sans oublier ceux qui sont maintenant décédés comme Victor Van Schil ou Jos Huysmans. Eddy a toujours eu besoin d’avoir ce groupe autour de lui. S’il était de prime abord méfiant, une fois la confiance installée, c’était parti ! Les coureurs nommés ont fait toute leur carrière ou presque au service d’Eddy.

Cette amitié avec ses anciens équipiers est également très présente avec ses adversaires de l’époque. Comment Eddy Merckx a-t-il vécu les disparitions successives de Felice Gimondi et de Raymond Poulidor l’an dernier ? Forcément Eddy était très triste car il est vrai que beaucoup de ses adversaires sont devenus ses amis. Par exemple Luis Ocaña, qui était devenu producteur d’Armagnac dans le sud de la France, a bénéficié des réseaux d’Eddy pour commercialiser ses produits en Belgique. Il est venu souvent chez Eddy à Bruxelles. Frans Verbeeck – grand rival du Cannibale sur les Classiques – était, lui, devenu vendeur des maillots qu’Eddy proposait en même temps que ses vélos. Autre symbole de cette amitié, Roger De Vlaeminck, Monsieur Paris-Roubaix, a appelé son fils Eddy. C’est un signe de respect. Idem avec Lucien Van Impe ou Freddy Maertens. Il n’y a qu’un seul adversaire avec qui il a longtemps eu des problèmes, c’est Rik Van Looy. Ce dernier était la grande vedette quand Eddy a commencé sa carrière. On avait l’impression que Van Looy était jaloux de l’éclosion de ce nouveau champion. Cette animosité a duré longtemps mais elle a aujourd’hui disparu. Ils se téléphonent souvent. Eddy a toujours respecté ses adversaires et c’était réciproque, comme en attestent les témoignages de ses adversaires de l’époque dans mon ouvrage Dans l’ombre d’Eddy Merckx.

Pour l’instant, aucun coureur ne l’a jamais égalé, mais cela va peut-être changer avec l’arrivée de Remco Evenepoel, un des jeunes espoirs du cyclisme belge. Qu’en pense Eddy Merckx ? Tout le monde est impressionné par Remco Evenepoel. Il a deux atouts : il est bien dans la montagne [il a remporté un titre mondial sur un parcours très accidenté, ndlr] et il est formidable contre la montre avec déjà à son actif des titres chez les juniors et ceux de champion d’Europe et de vice-champion du Monde chez les professionnels. Il faut avoir ces deux atouts pour pouvoir gagner des tours [de France, ndlr]. «  Il peut être mieux que moi ! » observe Eddy. Mais il dit aussi, comme il n’a que 20 ans, qu’« il doit manger encore beaucoup de tartines ! » En résumé, il faut donner le temps au temps ! Mais il est clair que parmi tous ceux qui, après Eddy – Freddy Maertens, Fons De Wolf, Daniel Willems, Eric Vanderaerden –, ont été identifiés comme de futurs Merckx, Remco Evenepoel est celui qui a le plus de talent. La manière avec laquelle il a gagné la Classique de Saint-Sébastien en août dernier montre qu’il est fort sur les courses d’un jour mais aussi prêt pour les courses par étapes. C’est vraiment le grand espoir !

*Johny Vansevenant, journaliste à la VRT, est passionné par le cyclisme des années 60/70 et plus particulièrement par la carrière d’Eddy Merckx. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages bibliographiques sur le champion belge, considérés comme des références : > 69, l’année d’Eddy Merckx, éditions Racine Lannoo > Eddy Merckx, La Biographie, éditions Racine > Dans l’ombre d’Eddy Merckx, éditions Renaissance du livre > Les hommes de Merckx, avec Patrice Cornille, éditions De Eecloonaar.