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Collection Laget

Premier Paris-Roubaix : 19 avril 1896, 5h30 Paris s’éveille, des ombres s’élancent dans la nuit

par Serge LAGET
Publié le 7 avril 2023 à 15:34 Mise à jour le 11 avril 2023

Comment faire, quand on a un vélodrome tout neuf à faire tourner, et quand le voisin d’Amiens vous fait de l’ombre ? C’est la question qui se pose à deux entrepreneurs roubaisiens MM. Vienne et Perez début 1896. Ils ont besoin de donner un deuxième souffle à leur anneau de 333 m, et ils pensent donc à faire arriver une grande course sur leur piste, dont ils relèvent aussi les virages. Il y a bien Paris-Ostende, Paris-Bruxelles, ou Paris-Dinant, qui passent dans le coin sans s’arrêter. Comme le journal « Le Vélo » de Paris, (il est de couleur verte), a également besoin d’élargir sa clientèle dans le Nord, la synergie avec Paul Rousseau, le patron du canard parisien, s’impose. On crée donc ensemble Paris-Roubaix, il y aura 280 km, des routes difficiles, mais des entraîneurs, et 1000 francs au premier (l’abonnement annuel au Vélo est de 30 francs), ce sera pour Pâques, avec l’arrivée le dimanche. Il y a 102 inscrits (brassards verts), et une pincée d’amateurs lillois (brassards mauves). Le dimanche de Pâques tous les ouvriers de la région seront disponibles, et comme Bordeaux-Paris, qui existe depuis 1891, a lieu trois semaines plus tard, la course pourra servir de préparation.

Des vélos à pignon fixe

Ce 19 avril, il fait très beau et « LE Vélo » tire à 52 000 exemplaires. Après les volées de cloches d’une messe matinale, quelques centaines de curieux affluent porte Maillot à Paris, près du restaurant Gillet, où le départ sera donné à 5h30 à 43 champions venus de tous les horizons, comme l’Allemand Joseph Fischer, l’Anglais Arthur Linton, le Danois Charles Meyer, ou Maurice Garin, l’Italien de Roubaix, qui connait le parcours comme sa poche. A leurs côtés, quelques figures épatent, Eo de Marseille, qui joue du piano, Bagré, un coureur à pied qui utilise une machine à leviers, le noir Vendredi, et quelques frileux cachés derrière des pseudos, comme Eole ou Mars. Lefebvre, maladroit, lui, casse sa fourche avant le départ !!! Guignard part en tête, mais Linton le dépasse vite, sur sa machine avec chaine Simpson, il restera en tête, jusqu’à Amiens (Km 149), où son tandem d’entrainement le fera tomber. Des astucieux ont le parcours collé sur le guidon, ou la manche. Les plus malins, comme l’Allemand Fischer, ont pris la peine avec son mentor Van Marck, de reconnaître le parcours en deux jours...Et il jongle donc avec une route improbable et sept contrôles fixes ou volants dans des cafés. Diable, à 31 ans, le Teuton possède déjà un palmarès allant de Moscou-St Petersbourg, à Vienne-Berlin, ou Milan-Munich. Couvert de poussière, il arrive à Roubaix à 2h47, après 9h17 de selle, à une moyenne supérieure à 30 km/h. Charles Meyer de Dieppe profite d’une chute sévère de Garin à 4km de l’arrivée pour prendre la 2è place. Le futur vainqueur du premier Tour arrive 3è, et le malchanceux Linton, 4è. Tous sauf Garin sont sur Dunlop. Serrés comme des coins, les 10 000 spectateurs oublient leur combat de coqs, tellement ils sont captivés par les arrivées annoncées à grand renfort de clairons : Stein, 5è, Ariès 8è, Liseron de Lille, est 13è, premier des amateurs locaux, Vendredi est 17è et Millocheau, future lanterne rouge du Tour 1903 (21è), est 19è. Bagré, qui regrette de ne pas avoir fait un tour du home-trainer installé au Chalet du Cycle à Paris, prendra sa revanche, dans le premier marathon pédestre français, Paris-Conflans, qu’il terminera 2è, en juillet. Il y a 29 classés. Les quatre premiers sont étrangers. La première pierre est posée, et c’est un solide pavé. Dans la foulée, le lendemain, le Vélodrome Roubaisien sera cette fois rempli par Jacquelin ; peu après, Arthur Linton, partagera Bordeaux-Paris avec Gaston Rivierre. En Allemagne, chez Opel ou Brennabor, les ouvriers passeront vite de 55 000 à 90 000 en 98 après la retentissante victoire de Fischer (1865-1953), qui gagnera encore Bordeaux-Paris en 1900, avant de s’éteindre à 88 ans... Non, Bordeaux-Paris ne tuait pas. En 1903, dans le premier Tour, sa déception sera vive car malgré ses 38 ans, il était présenté comme un outsider, il terminera seulement 15è, victime d’un chauvinisme (ndlr : provoqué par la perte de l’Alsace-Lorraine en 1870), qu’il ne connut pas ici.

Mots clés :

Hauts-de-France