Familistère de Guise : Et si le monde d’après s’était écrit hier ?

Par Cédric DEMATTE

Publié le 24 juillet 2020 à 15:51

Parmi les derniers déconfinés, le secteur de la culture est pourtant essentiel afin de penser « le monde d’après ». Aussi, nous vous proposons de parcourir un musée emblématique des Hauts-de-France. Partons en voyage, en utopie, dans le nord de l’Aisne, en Thiérache, à Guise. Et visitons un lieu de patrimoine prospectif : le Familistère.

Des poêles en fonte au Palais social

Jean-Baptiste André Godin, fils d’ouvrier serrurier, bâtit de 1859 à 1884, à proximité de son usine de poêles en fonte, une cité de 2 000 habitants : le Familistère. Ce lieu est nommé Familistère en référence au phalanstère du philosophe Charles Fourier. Godin le nomme également « Palais social » ou « Palais du travail ». C’est l’une des réalisations les plus emblématiques de l’ère industrielle. Ce lieu, ces services, ces usines seront gouvernés par une association coopérative ouvrière jusqu’en 1968.

Partager les richesses et leurs équivalents

Chez Godin, on gagne mieux sa vie qu’ailleurs. On travaille moins et on gagne plus. On achète en grande quantité les produits dont la communauté ouvrière a besoin et on les revend aux économats à un prix moins cher. Il n’y a pas d’enfants qui travaillent à l’usine, ils vont dans une école gratuite, laïque, mixte (dix ans avant les lois Ferry). Ces écoles entourent un théâtre où les enfants ont un accès direct qui leur permet de réciter une poésie ou de prendre des cours de déclamation. Côté santé, un système de soin est organisé : une Sécurité sociale avant l’heure ! Des logements lumineux, spacieux, organisés autour d’espaces communs, avec des commodités qui existent peu à cette époque, que l’on soit ouvrier ou non. Godin veut partager les richesses et ses équivalents : santé, hygiène, culture, sport, éducation. Ce dernier, pour Godin est le plus important, lui qui aurait voulu être enseignant. Sa compagne, Marie Moret, invente un système qui prendra en charge l’éducation des enfants et des jeunes dans tous ses âges, de la petite enfance à l’apprentissage voire jusqu’à l’enseignement supérieur. La compagne de Godin n’est pas que « femme de », elle travaille et conçoit des pédagogies innovantes. Godin est féministe et il pense donc que la femme est l’égal de l’homme. Au Palais social, les femmes pourront travailler de leur propre chef et auront leurs instances de décision. Elles auront également le droit de vote dans l’association coopérative au même titre que les hommes.

Des enseignements pour aujourd’hui

Le Familistère est un exemple, une référence pour qui veut étudier l’architecture et les organisations humaines. Techniquement, les bâtiments pensés par Godin, qui n’est pas architecte, traduisent les valeurs qui l’animent : le féminisme, l’égalité, l’unité, la coopération, la justice sociale.

Ses préoccupations sont pleinement ancrées dans son époque. Au 19ème siècle aussi, des épidémies déciment des pans entiers de population en Europe et dans le monde. Pour relever le défi hygiéniste, il y a bien sûr son système de soin. Mais Godin va avoir cette préoccupation dans bon nombre de ses réalisations.Les appartements sont pensés afin que l’hygiène soit de rigueur. Des appartements traversants avec de nombreuses fenêtres pour ventiler son logement. Les verrières des cours intérieures autorisent la circulation de l’air. Des points d’eau (chaude et froide) sont présents à chaque étage. Des trappes à balayures (ancêtre du vide-ordure) permettent de récupérer des saletés et des petits déchets qui sont compostés et réutilisés au jardin. Et des règles de vie sont aussi mises en place. Godin ne s’arrête pas aux appartements sur la question de l’hygiène et de la santé. Il crée un bâtiment remarquable dédié à cette question : une buanderie-piscine. Ce bâtiment recycle les eaux de refroidissement de la fonderie, et offre de l’eau chaude gratuite aux habitant·es du Palais social. Il accueille en son sein un espace dédié au lavage et au séchage du linge. Il permet de faire bouillir le linge et de le sécher dans de bonnes conditions sanitaires. Ce bâtiment permet également une certaine reconnaissance du travail domestique des femmes. Dans ce lieu, il y a un espace piscine qui permet aux habitant·es du Familistère de prendre des douches et d’apprendre à nager grâce à un astucieux plancher escamotable. Cette utopie réalisée a été gouvernée de manière coopérative par les ouvriers pendant presque un siècle. À l’heure de cette crise sanitaire, écologique et économique, se posent de nombreuses questions. Une sortie au Familistère de Guise redonne du baume au cœur et invite à repenser le monde. Si vous y passez, attardez-vous sur le livre d’or pour y lire les commentaires de visiteuses et visiteurs militant·es, nombreux à penser qu’il est nécessaire de reprendre le chemin des communs.