Surveillance numérique

Ce n’est pas le tracking social qui va régler l’épidémie

par Philippe Allienne
Publié le 10 avril 2020 à 09:49

Confinement, autorisations de sorties très restrictives avec traçage manuel, interdiction de rendre visite aux proches et aux personnes de sa famille en fin de vie, attestation de déplacement dérogatoire sur smartphone avec QR code, projet de traçage numérique... la crise sanitaire conduit à la restriction de notre liberté d’aller et venir. Jusqu’où faut-il aller ?

Juste avant une audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, ce jeudi matin 9 avril, le secrétaire d’État chargé du numérique déclarait à France Inter qu’il faudrait plusieurs semaines pour développer l’application smartphone de traçage numérique « StopCovid ». Se voulant rassurant, il a affirmé qu’elle « serait une application de protection individuelle, qui ne remplirait qu’une seule fonction : vous prévenir si vous avez été en contact, dans les jours précédents, avec une personne qui a été ensuite testée positive au coronavirus, pour que vous puissiez vous-même prendre des dispositions : vous faire tester et éventuellement vous confiner ».

Valeurs européennes

Pour le gouvernement, qui s’appuie sur des experts en épidémiologie, cette application smartphone (elle n’utiliserait pas la géolocalisation mais le système Bluetooth [1]), « pourrait être utile dans le cadre d’une stratégie de déconfinement  » et serait l’une des composante d’un « cocktail qui inclurait la question des tests massifs de dépistage ». Elle serait temporaire et ne « durera pas au- delà de la crise ». Cette application, dont le développement se fait en commun avec d’autres pays comme l’Allemagne et la Suisse, se veut « respectueuse des valeurs européennes ». Pour Cédric O, il n’y a aucune crainte à avoir pour les données personnelles, qui « n’existent pas » dans ce système, et pour leur exploitation éventuelle par des lobbies industriels ou sécuritaires.

Lire aussi notre entretien avec Olivier Tesquet, journaliste spécialisé des questions numériques.

Yann Le Pollotec, responsable « Révolution numérique » du PCF.
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Cette application numérique n’est pas la seule. Depuis le 7 avril, le ministère de l’Intérieur a permis l’utilisation du smartphone pour lancer un générateur d’attestation de déplacement dérogatoire. Plus besoin de l’attestation papier telle que celle que nous publions régulièrement dans nos pages (voir notre article). Sauf que 80 % seulement de la population française est équipée d’un smart- phone, un chiffre qui descend à 40 % pour les personnes âgées. Une fois les éléments recueillis, cet outil crée automatiquement, sous la forme d’un fichier PDF, une attestation à présenter en cas de contrôle, avec une pièce d’identité. Le fichier comprend un QR code permettant aux forces de l’ordre de vérifier l’attestation, sans contact. Selon le ministère, les données saisies sur le générateur ne seront pas collectées par ses services.

Cahier des charges

Pour Yann Le Pollotec, responsable « Révolution numérique » du PCF, les choses ne sont évidemment pas si simples. « Dans toute crise, on voit émerger des tendances sécuritaire, dit-il, avec remise en cause des libertés fondamentales. Ce qui est inquiétant dans le cas présent, c’est que l’on présente ce traçage numérique comme une mesure phare en s’appuyant sur l’exemple de Singapour qui n’utilise pas la géolocalisation et se base sur le consentement des gens.  » Mais rien ne dit que Singapour respectera jusqu’au bout ces règles de bonne conduite.

« On sait que la lutte contre le coronavirus passe avant tout par un confinement réussi, avec des tests massifs, des masques, etc. et non en traçant des gens via leur téléphone portable. On veut porter cette lutte épidémiologique sur le terrain de la lutte technologique. Pour cela, il faut un cahier des charges solide. Ce n’est de toute façon pas le tracking social qui va régler l’épidémie.  » L’exemple de l’opérateur Orange, qui a tracé les personnes qui ont quitté Paris pour la province, a fait la démonstration du risque de flicage. « Il est plus facile et plus économique de mettre en place le traçage numérique que de multiplier les tests et les masques pour tous, observe le responsable communiste. Or, dans le cas d’Orange, la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés, ndlr) s’est montrée plutôt molle du genou. »

Pour en savoir plus sur la surveillance numérique :

> Commission "Révolution numérique" du PCF

> Interview d’Alain Chouraqi (directeur de recherche émérite au CNRS) et Antonio Casilli (sociologue, professeur à Télécom Paris et à l’EHESS) dans Le Grand rendez-vous sur France Inter (2 avril 2020)

Notes :

[1Bluetooth est une norme de communication permettant l’échange bidirectionnel de données à très courte distance en utilisant des ondes radio UHF sur une bande de fréquence de 2,4 GHz. Sa destination est de simplifier les connexions entre les appareils électroniques en supprimant des liaisons filaires.