Depuis le début des mesures de distanciation sociale et de confinement, la puissance publique s’est appuyée sur des moyens nouveaux pour s’assurer de la bonne observation des règles par la population. À Nantes, un hélicoptère équipé d’une caméra à vision thermique survole la ville et ses alentours la nuit afin de déterminer si les règles du confinement sont bien respectées par les habitants. Dans d’autres villes, voire mêmes villages, ce sont des drones qui sont utilisés afin de diffuser des messages aux habitants qui se trouveraient à l’extérieur. Pour Olivier Tesquet, cette crise sanitaire contribue à renforcer le rôle de l’État, à la fois au niveau régalien mais aussi sécuritaire, ce qui explique les nombreuses prises de paroles des différents membres du gouvernement. Si ces derniers jours ont vu éclore un débat autour de l’utilisation du « tracking » (ou « traçage », sous-entendu numérique) afin de surveiller et limiter la propagation du virus, ces techniques de surveillance existent en fait depuis plusieurs années et sont souvent déjà présentes dans le quotidien des citoyens.
Des acteurs sécuritaires des données saisissent donc cette fenêtre d’opportunité pour proposer leur aide (comprendre leurs bases de données) aux gouvernements (NSO en Israël, Palantir auprès de l’APHP ou en Grande-Bretagne...). Cette conversion est notamment possible parce que ces entreprises disposent actuellement d’un auditoire prêt à renforcer sa sécurité par peur de l’épidémie. C’est d’ailleurs une crainte émise par l’auteur qui voit dans le discours belliciste du président de la République une continuité avec celui de Manuel Valls en 2015. « Dans les deux cas on est “en guerre”. Il y a quatre ans contre les terroristes, aujourd’hui contre le virus Covid, mais le discours est le même. » Une des mesures phares - qu’on retrouve d’ailleurs dans les mesures d’état d’urgence post-attentats - est l’assignation à résidence. « On peut penser que demain l’application annoncée par le gouvernement exclura certaines personnes de l’espace public » poursuit Olivier Tesquet. Hier le terroriste, aujourd’hui et demain le corps malade.
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Stigmatisation des malades
Ce discours guerrier a une autre conséquence, celui de stigmatiser une partie de la population, comme les habitants de la Seine-Saint-Denis par exemple. « Le 93 a été le département francilien le plus vite saturé, plus certainement car c’est dans ce département que vivent ceux qui continuent de travailler dans des conditions sanitaires inadaptées à la situation. » Cette stigmatisation n’est pas simplement géographique, elle est aussi une réalité pour le personnel soignant confronté aux messages désobligeants les invitant à changer d’appartement le temps de l’épidémie. Le discours que tient le gouvernement pousse les citoyens à se comporter en auxiliaires de police, une démarche facilitée soit par le temps disponible, soit par les moyens technologiques : « Chacun d’entre nous peut suivre ses amis sur les réseaux sociaux et vérifier qu’ils sont biens chez eux ou qu’ils ne postent par de contenu depuis l’extérieur. »
Bien qu’on ne connaisse pas encore sa date exacte, le déconfinement aura bien lieu un jour, peut-être en plusieurs étapes. Toutefois, pour que l’application de traçage du gouvernement fonctionne, il faudra un taux de pénétration relativement élevé. « On estime qu’il faut que 60 % de la population l’utilise pour qu’elle soit efficace [l’application], or le taux d’équipement en smartphone en France est à peine plus important... » précise Olivier Tesquet, ce qui signifie donc qu’il faut que quasiment l’intégralité des possesseurs de smartphones soient utilisateurs « volontaires » d’une telle application. Là encore, « l’aspect volontaire est tout à fait relatif. Si l’utilisation n’est pas obligatoire aujourd’hui, sa non-utilisation peut devenir excluante ». Être un bon citoyen pourra donc signifier demain être un utilisateur de la technologie de tracking.