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Réflexion

Rachel Silvera : Cette charge mentale propre aux femmes

par Nadia DAKI
Publié le 6 mars 2023 à 15:21

Pour comprendre comment les femmes se retrouvent submergées par les tâches du quotidien, le boulot et leur gestion respective, il faut remonter à l’organisation de la société. Explications.

La dessinatrice Emma a démocratisé la charge mentale sous forme de bandes dessinées. Un nombre important de femmes se sont identifiées à cette femme débordée par les paniers de linge sale, la quête d’attention perpétuelle des enfants, le mari qui lui demande de préciser comment il peut l’aider et le boulot avec ses propres impératifs. Comment ne pas craquer ou plutôt pourquoi l’ensemble de ces tâches incomberait à la femme seule ? « C’est le fruit de plusieurs composantes historiques à partir desquelles on attribue la famille aux femmes. Elles doivent gérer, penser tout ce qui concerne le foyer et les enfants. Les deux-tiers de ces tâches sont effectuées essentiellement voire exclusivement par les femmes. Pendant longtemps, la société a même nié qu’elles puissent avoir une activité professionnelle alors même qu’elles travaillaient déjà aux côtés de leur mari paysan ou petit commerçant  », rappelle Rachel Silvera.

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Une domination masculine parfois reproduite par les femmes elles-mêmes

Un lourd tribut à payer pour avoir le droit de donner la vie ? Car, selon la maîtresse de conférences, tout démarre par le fait que les femmes portent les enfants. «  Parce qu’elles ont ce pouvoir de mettre au monde, les hommes le leur font payer, analyse-t-elle. C’est une forme de domination masculine.  » Une situation qui s’est davantage déséquilibrée lorsqu’elles ont commencé à travailler. « Les femmes ne sont pas déchargées pour autant de la sphère familiale. Elles sont systématiquement renvoyées au privé, à l’intime, à l’intérieur non seulement par les hommes qui ne s’en sont pas réellement emparés et mais aussi par certaines d’entre elles, en reproduisant les situations à l’identique de celles qu’elles ont connues, en étant partie prenante de cette domination en quelque sorte. » En réalité, le partage des tâches est loin d’être réparti de façon équitable au sein du foyer. « Les choses évoluent mais encore lentement, remarque Rachel Silvera. Des études ont d’ailleurs montré que les hommes ont même tendance à travailler plus avec l’arrivée d’un enfant. C’est encore et toujours des petits arrangements de couple et les femmes préfèrent la paix des ménages.  »

Les jeunes filles, plus vigilantes, ne sont pas dupes

Mais les générations à venir sont non seulement déjà sensibilisées à la question et moins conciliantes. « Même si les cartes ne sont pas entièrement rebattues, le mouvement #MeToo a insufflé dans toutes les sphères. Il y a des avancées aujourd’hui. Les jeunes femmes se pensent d’abord citoyennes et salariées. Les féministes des années 70 disaient que le “privé est politique” pour bien préciser que ce qui se joue dans la sphère privée est fondamentalement politique. Les jeunes d’aujourd’hui l’ont fondamentalement intégré. » D’ailleurs, certaines manifestent leur non désir d’enfant, conscientes de l’équilibre précaire entre vie professionnelle et vie personnelle. « Les lignes bougent. C’est encore très lent mais elles bougent », se veut optimiste Rachel Silvera.

Rachel Silvera est économiste féministe de l’Université Paris-Nanterre, co-directrice du réseau de recherches MAGE (MArché du travail et GEnre). Pour aller plus loin : rachelsilvera.org .